La reine de Roumanie.
S. M. Elisabeth, reine de Roumanie (Carmen Sylva), a publié dernièrement en France un volume de pensée qui, à juste titre, a été très remarqué.
Le Musée des Familles s'est aventuré à solliciter de la spirituelle souveraine, soit quelques pensées nouvelles, soit quelque portrait de Parisienne de Paris par une Parisienne de l'Orient.
En accueillant très gracieusement notre demande de collaboration, la Reine s'est d'abord excusée de ne plus écrire de pensées.
"Le charme est rompu, a-t-elle répondu, j'étais comme l'enfant derrière un mur qui, par dessus jette des cailloux aux passants; une fois attrapé, il perd de son audace.
Je ne saurais rien dire des Parisiens et des Parisiennes? Je ne les vois qu'à travers le prisme du roumain... J'ai vécu à Paris seulement pendant mon enfance. Je ne connais de la société parisienne que quelques personnes retrouvées depuis en Allemagne ou en Roumanie... Un jour, un Français me disait:
- Je ne puis prétendre que je connais l'Orient, bien que je sois allé cinq ou six fois à Constantinople. Qui connait jamais l'Orient?
- Je puis en dire autant de Paris, cet Orient des Orientaux, Paris qui a tout l'univers dans ses kaléidoscopes. Comment le connaîtrai-je jamais assez pour avoir la présomption de parler?..."
Quelques jours plus tard, la Reine nous faisait parvenir le portrait dialogué "Autour d'(une femme" que nous publions.
L'idée lui en a été, paraît-il, suggérée par une jeune femme auteur, se plaignant devant elle, et avec elle, du préjugé qui veut que les femmes aient besoin d'être malheureuses pour être tentées d'écrire.
Carmen Sylva a voulu protester contre cette fausse pitié; et si la Souveraine ne se montre pas elle-même dans cette esquisse au pastel d'une femme auteur, on peut penser, sans indiscrétion, qu'elle a involontairement trahi de petits froissements et de grands contentements, ressentis par elle dans ce pays où elle est arrivée princesse étrangère, pour s'y faire applaudir, aimer et vénérer comme fée et comme poète.
Ce sont surtout ces allusions involontaires, échappées à une plume rapide, ces soupirs et ces sourires personnels qui font le grand mérite de ce morceau sans prétention.
Avons-nous besoin de présenter davantage Carmen Sylva?
Princesse de Wied, élevée par une mère très instruite et très attentive, dans la liberté d'une vie simple, au joli château de Neuwied, sur le Rhin; plus tard, ayant voyagé dans les diverses parties de l'Europe, en compagnie de sa tante, la grande-duchesse Hélène de Russie, sachant penser et écrire en sept ou huit langues, peintre comme elle est poète, ayant à tout propos l'effusion du véritable esprit, de celui qui frappe sans blesser, mariée à un roi intelligent et brave, associée aux destinées d'un pays qui a créé son indépendance, elle aurait tous les bonheurs de femme et de reine, comme elle mérite toutes les gloires, si elle ne gardait pas un deuil maternel, dont elle ne parle pas, mais qui se devine toujours à sa tendresse pour les enfants, à sa vénération jalouse pour les femmes qui n'ont pas perdu d'enfant. Les grands chagrins sont ceux qui épuisent les larmes, pour se fixer dans un sourire.
Musée des Familles, Lectures du soir, 1er semestre 1885.
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