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samedi 5 juillet 2014

Auteuil au treizième siècle.

Auteuil au treizième siècle.


Auteuil est un charmant village, à une lieue de Paris, sur les bords de la Seine, un endroit de plaisance historiquement fameux. Boileau, Molière, Chapelle, d'Aguesseau, l'habitèrent; la plupart des écrivains du grand siècle y passèrent un grand nombre de "printemps embaumés et d'automnes fécondes". Dans un temps plus rapproché du nôtre, Destutt-Tracy réunissait dans une maison qu'il habitait près de l'église communale l'assemblée proscrite des Idéologues. Mais on ne connaît guère que l'histoire moderne d'Auteuil: nous allons dire ce que nous avons appris de son histoire ancienne.
La seigneurie d'Auteuil devint, en 1109, le propriété de l'abbaye de Sainte-Geneviève, en vertu d'un échange qui fut fait, entre les chanoines séculiers de Sainte-Geneviève de Paris et les religieux de l'abbaye du Bec, en Normandie. Par le contrat de cet échange, les moines du Bec cédèrent aux Génovéfains tout ce qu'ils avaient et possédaient à Auteuil et dans Paris, en censives, fiefs, vignes, terres, justice, coutumes et autres droits: ceux-ci leur abandonnèrent des domaines près de Vernon, et entre autre le bourg de Gamilly.
Lorsque les chanoines réguliers s'établirent à Sainte-Geneviève, en 1148, un des chanoines séculiers jouissait de la terre d'Auteuil en prébende; il l'a posséda jusqu'en 1162: près de mourir, il en fit don aux chanoines réguliers, leur cédant tous ses biens, et particulièrement un pré qu'il avait acheté, sur le versant de la côte qui descend vers la rivière.
On lit, dans un titre de 1233, que le territoire d'Auteuil s'étendait jusqu'à Saint-Cloud, puisqu'il y est fait mention de quatre arpents de vignes appartenant à l'abbaye. On remarque dans ce titre, que la même abbaye jouissait de cinquante sous de cens in terra figulorum, dans la terre des potiers  ou tuiliers. Cette terre des potiers est actuellement le beau jardin d'une propriété possédée par un maire de Paris: il y a dix ans environ qu'on n'y fabrique plus de briques. Quand aux tuileries actuelles d'Auteuil, elles sont modernes: les nombreuses inégalités de terrain qui se trouvent dans toute la partie du territoire d'Auteuil appelées les fortes terres, et dont la cause ne peut être qu'un travail humain, nous font croire que presque tout le plateau voisin du bois de Boulogne fut autrefois remué par la pelle des tuiliers: mais les preuves nous manquent pour établir les faits.
Il y avait , à Auteuil, un four banal qui fut donné, en 1226, au maire du village, à la charge d'en rendre, tous les ans, six setiers de seigle à l'abbaye de Sainte-Geneviève. Plus tard les moines trouvèrent marché meilleur: ils affermèrent leur four banal à un particulier, qui leur fournit sept setiers d'orge, outre les sept setiers de seigle. L'abbaye avait d'autres propriétés à Auteuil: elle avait aussi d'autres droits. Il en est un très singulier, désigné dans les chartes par les mots: capitalia vivorum et mulierum. Voici en quoi il consistait. Quand deux époux s'éloignaient de l'autel après y avoir reçu des mains des chanoines la bénédiction nuptiale, ils s'acquittaient envers l'église en lui laissant les chaperons, voiles et autres ajustements qui couvraient leurs têtes. Que faisait l'abbaye de ces bonnets et de ces béguins? On l'ignore: il est probable qu'elle en tirait profit, et que ce droit était pour elle ce que, dans la langue féodale, on appelait un droit utile. On retrouve des coutumes semblables dans la chronique de toutes les églises. L'abbaye de Sainte-Geneviève prélevait d'ailleurs sur les habitants d'Auteuil des impôts plus onéreux: elle avait établi dans son domaines des coutumes grandes et petites. Les grandes étaient un setier d'avoine, un minot de froment, deux chapons et deux pains, valant chacun quatre deniers. Plus tard, ces coutumes furent évaluées et rachetées au taux de douze deniers parisis, ce qui fut stipulé au préjudice de l'abbaye, car on trouve qu'en 1243, le revenu de ces coutumes, dans toutes les terres appartenant aux Génovéfins, montait à vingt et un muids cinq setiers d'avoine, vingt et un setiers neuf boisseaux de froment, six cent vingt-trois chapons, et quatre livres dix-sept sous, en argent, ce qui pouvait bien équivaloir à deux mille livres de rentes, suivant un historiographe de l'abbaye: ces richesses furent perdues pour les moines quand ils eurent passé contrat, et le même historiographe dit, qu'au dix-septième siècle, ils ne touchaient plus annuellement une pistole de leurs créanciers. Nous ne pouvons oublier de mentionner encore un usage très bizarre. Les propriétaires de certains héritages étaient obligés de fournir de la paille pour mettre sous les pieds des femmes, à l'église, dans la nuit de Noël.
Les propriétés particulières de l'abbaye, sur le territoire d'Auteuil, étaient la seigneurie, et en dehors de son enclos, vingt-deux arpents de vigne situés du côté de Saint-Cloud. Les habitants du village lui devaient des corvées pour la façon des vignes. L'abbaye possédait anciennement des hommes de corps, des serfs attachés à son domaine: ils se rachetèrent et furent mis en liberté du temps de Saint-Louis, en 1247. Elle exerçait sur toute la seigneurie justice haute et basse, et l'an 1295, elle fit enfouir solennellement une larronnesse sous les fourches patibulaires.
Il y avait, dans l'étendue de la seigneurie d'Auteuil, un ancien château nommé l'hôtel de Nigeon, qui appartint plus tard, en 1496, à Jean de Cerisy, bailly de Montfort-l'Amaury, consistant en un parc clos de murailles qui contenait environ sept arpents de bois; au milieu de ce parc se trouvait une vieille tour carrée, appelée Nigeon, entourée d'un vivier. Jean de Cerisy vendit ce domaine à la reine Anne de Bretagne, qui y fonda un couvent de minimes.Ces religieux sont désignés, dans le titre de fondation, sous le nom de les frères moindres, et dans un autre titre, de l'année 1493, sous celui de les religieux du moindre des moindres ordres.
La maison seigneuriale d'Auteuil, dont il ne reste plus de titre que la tour carrée de Nigeon, avait été bâtie par les abbés se Sainte-Geneviève, dont elle était le séjour privilégié. Philippe Cousin, Guillaume Le Duc, et le cardinal de Larochefoucauld en augmentèrent les bâtiments. Il y avait dans le château, une chapelle dédiée à Sainte Madeleine; on célébrait l'office le jour de la fête de la sainte pécheresse. A l'étage inférieur du bâtiment abbatial, il y avait une chambre qui s'appelait la chambre des écuyers de l'abbé; car c'était un usage que l'abbé n'allât pas se promener aux champs, sans avoir en sa compagnie deux écuyers, ou valets de chambre, ainsi qu'il était rapporté dans les anciennes constitutions de la maison d'Auteuil, au chapitre De abbate.
Telles sont les anecdotes historiques que le hasard nous a fait lire dans un manuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Nous transcrivons cette chronique dans sa simplicité originelle: la tradition des choses qu'elle renferme s'est depuis longtemps perdue, et nous ne savons pas qu'on l'ait avant nous exhumés du manuscrit génovéfain.

Magasin Pittoresque, 1838.

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