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vendredi 10 janvier 2014

La captivité de M. Edouard Drumont.

La captivité de M. Edouard Drumont.


M. Edouard Drumont est, il faut lui rendre cette justice, aussi fidèle à ses amis qu'à ses principes, et c'est pour apporter à son jeune et nouvel ami Max Régis la parole de consolation qu'il a fait, il y a quelque jours , le voyage en Algérie.
A vrai dire, s'il n'eût eu que ce motif de déplacement, M. Edouard Drumont serait resté à Paris; mais il s'est souvenu qu'il était aussi député, c'est à dire qu'il avait des électeurs, et aussi que, depuis la destruction de la Sainte Pélagie, il n'avait pas été incarcéré.
Or, plus que jamais, il se sentait des velléités de jouer, encore une fois, Silvio Pellico.
Donc, comme on lui parlait de l'Algérie, dont il connaissait d'ailleurs l'admirable sol antisémite, et de Sidi-Ferruch, où était interné Max Régis, M. Drumont ne se tint plus et cingla vers Alger.
Il n'était pas débarqué depuis une demi-minute que déjà bouillonnait le ferment populaire et que débordait l'enthousiasme.
Les vivats, les chapeaux, les fleurs, les vitres même volaient vers le Dieu des antisémites.
Mais, loin de se laisser griser par tant de gloire, M. Drumont apaisait les siens et d'un geste farouche leur montrait, vers l'horizon, les hauteurs de Sidi-Ferruch.
Et tous de s'élancer, tels des troupeaux de collégiens en vacance, vers la campagne.





L'excursion, favorisée par le ciel, fut une véritable partie de plaisir. Les deux antisémites, le vieux et le jeune, s'étreignirent longuement. Les assistants pleuraient en silence...
Mais l'apothéose manquait. Comme toute bonne apothéose, elle devait terminer le spectacle.




Donc, au retour, tandis que le flot populaire, s'enflant de minute en minute, roulait et menaçait d'engloutir M. Drumont, M. Voinot, le maire, et avec eux la voiture, le cocher et le cheval, un lieutenant de zouaves, jouant des coudes, surgit au bon moment avec ses hommes, Deus ex machina !





- Arrêtez-nous, pendant que vous y êtes, s'écrièrent ensemble  et Drumont et Voinot.
- C'est ce que je fais, répliqua simplement l'officier.





Alors, au milieu des vociférations, on vit M. Drumont lancer ses bras au ciel, tandis que l'emportaient les gendarmes à la gendarmerie d'El-Biar...
C'était pour M. Drumont, à peine arrivé, la réalisation du plus cher de ses désirs : être arrêté.





Quelques instants après, d'ailleurs, il était remis en liberté, rendu à la foule, et porté en triomphe, sous une grêle de cailloux.
Sa captivité n'avait été ni longue ni pénible. L'historien impartial qui tiendrait, et qui tiendra, j'en ai la conviction, à fixer, pour la postérité, tous les incidents de cette mémorable journée, pourrait intituler ce chapitre: Drumont, ou trente-cinq minutes de captivité!




Et, plus tard, lorsque les magisters instruiront les enfants, ils diront: "Vous voyez, mes enfants, qu'il faut toujours être obéissants. Si M. Drumont, se rendant aux ordres de l'autorité supérieure, avait bifurqué sur la route de la Colonne-Voirol, il n'eût pas été arrêté, la ville serait demeurée calme, nul juif, nul antisémite n'aurait été blessé."
Et tous les gens de bien ne sauraient qu'applaudir à ce langage aussi noble que digne.
Mais, d'un autre côté, si nous nous contentons de dégager de l'incident la morale vulgaire, c'est à dire si nous  nous plaçons au point de vue particulier de M. Drumont, député, nous sommes forcés d'approuver l'habile homme politique qui a su paraître à ses électeurs avec la couronne du martyr.

Photographies Leroux, Alger.

                                                                                                                  Léon Gressel.

La Vie Illustrée, 11 mai 1899.

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