Le nœud de l'aiguillette. Part I
Une reine de Perse, voyant qu'on "tourmentait" un cheval, demanda ce qu'on lui faisait; on lui répondit, avec force périphrases, qu'on voulait le rendre hongre. "Que de mal on se donne! répliqua-t-elle; faites lui boire du café et vous arriverez au résultat que vous cherchez(1)."
On connait la fameuse thèse soutenue, en 1695, à la Faculté de médecine de Paris, et dont l'auteur prouvait jusqu'à l'évidence que l'habitude du café rendait les hommes inhabiles à engendrer, et les femmes à concevoir.
Pour justifier cette propriété attribuée au café, de rendre frigides ceux qui en font abus, on cite l'exemple de Voltaire, qui, on le sait, usait plus que de raison de cet excitant cérébral, ce qui ne l'empêcha pas d'atteindre un âge avancé, mais ce qui l'aurait, d'assez bonne heure, considérablement refroidi à l'égard du sexe.
Il ne s'en montrait pas moins fort jaloux des femmes qu'il aimait, témoin Mme du Châtelet; Un des biographes les plus autorisés du philosophe a rapporté une curieuse conversation, au cours de laquelle Mme du Châtelet, rappelant à Voltaire son "insuffisance" finit par lui faire accepter d'avoir pour suppléant son ami Saint-Lambert, de préférence à un étranger. Voltaire se laissa persuader, et un nouveau ménage à trois s'établit ce jour là. C'est la même Mme du Châtelet qui, se trouvant enceinte du fait de Saint-Lambert, s'était rapprochée, pendant plusieurs jours, de son mari, pour obtenir de son époux au moins l'apostille.
- Quel besoin a-t-elle donc, dit un mauvais plaisant, d'aller voir son mari?
- Sans doute une envie de femme grosse, riposta une autre bonne langue.
Cette réputation anaphrodisiaque du café est d'ailleurs fort ancienne. Quelques auteurs ont même nommé le café potus caponum (liqueur des chapons).
L'alcool, qui a eu longtemps la réputation d'augmenter les désirs, n'aurait cette action que d'une façon très éphémère: "Il diminue la résistance aux tendances perverses (Marie Manacéine, Forel, etc.), qui sont plutôt liées à l'impotence; l'absence de désir vient bientôt.
"Dans l'alcoolisme, comme dans la neurasthénie en général, les désirs sexuels sont quelquefois augmentés pour un temps, mais la puissance est généralement diminuée (2)."
Le tabac est généralement incriminé; le docteur Le Juge de Segrais s'est chargé du réquisitoire contre l'herbe à Nicot. Ce confrère tabacophobe a nettement accusé la cigarette de produire l'anaphrodisie, et il a rapporté à l'appui plusieurs faits tirés de sa pratique personnelle. Dans plusieurs de ces cas, il a suffit de conseiller aux malades de cesser de fumer, pour voir leur appétit vénérien revenir (3).
N'est-il pas à propos de rappeler que l'on trouve mentionnée cette curieuse propriété du tabac dans un livre du seizième siècle (4), dont l'auteur rapporte qu'en Amérique, les femmes s'abstiennent de l'usage du tabac (5) , parce qu'elles croient qu'il empêche la conception et les désirs charnels ?
On comprend mieux que les lésions de la moelle épinière, qui affectent directement ou indirectement le centre génital, puisse produire cette anesthésie spéciale, qu'on observe encore dans certains cas de lésions de l'écorce du cerveau, notamment dans la paralysie générale progressive.
Ce que réalisent des lésions grossières et permanentes de l'écorce, des troubles de nutrition peuvent le reproduire, comme on le voit dans l'hystérie, l'hypocondrie, la mélancolie (Féré). Mais c'est surtout dans la neurasthénie, ou plutôt dans les états neurasthéniques (5), que s'observe une diminution marquée de l'activité génitale. Ces malades sont sensibles, plus que tous les autres, à la suggestion sexuelle et restent en inhibition; ils éprouvent comme on l'a dit, une véritable syncope génitale (6) , quand ils ont l'appréhension de ne pas arriver à leurs fins, soit parce qu'ils ont échoué peu auparavant, soit parce qu'ils pensent trop à l'acte qu'ils vont accomplir.
Tardieu a conté l'histoire d'un individu qui avait beaucoup de mal à arriver au résultat désiré, mais qui, une fois cependant, avait réussi complètement. Il se trouvait alors dans une mansarde et avait aperçu, pendu à la fenêtre, un bonnet de femme qui séchait; pendant la consommation de l'acte sexuel, son attention avait été attirée sur ce bonnet, et c'est ce qui lui avait permis de réussir. Or, depuis cette époque, toutes les fois qu'il voulait se livrer à la même manœuvre, il se munissait d'un bonnet, qu'il accrochait dans un coin de la chambre.
Nous en avons assez dit pour montrer que la neurasthénie se trahit souvent par des troubles de la sexualité, plus fréquents chez l'homme que chez la femme. Ces troubles consistent principalement en une excitabilité excessive, coïncidant avec une impuissance d'abord relative, quelque fois absolue, et s'accompagnant de perversions diverses.
Docteur Augustin cabanés.
(1) Improvisateur, t.III, p 397. Le café est accusé, depuis longtemps, de produire de pareils effets (Cf. Linné, dans sa dissertation Potus coffeae, Amoen.acad. tVI). Murray (Apparat. medic. t.I, p 565) cite en preuve le témoignage d'Oléarius, Itinerar persic., p. 578 et de Hecquet, Traité des dispenses de Carême, Paris, 1709, p. 495, livre dévot qu'on lisait au réfectoire des religieuses à Port-Royal. Celles-ci se montrèrent si scandalisées de certains détails, que l'auteur dut les supprimer dans les éditions ultérieures.
(2) Féré, l'Instinct sexuel.
(3) M. Le Juge de Segrais a rappelé, à ce propos, les expériences faites par M. Georges Petit, secrétaire général de la Société contre l'abus du tabac, sur un grand nombre d'animaux, chiens, cobayes, lapins, qui furent, les uns, soumis à l'action de la fumée du tabac, les autres nourris de feuilles de tabac, d'autres traités par des lavements à la nicotine. Il en résulte chez quelques uns, une intoxication aigüe, et leurs testicules furent trouvés congestionnés, les tubes séminifères étant le siège d'une prolifération cellulaire abondante et d'une desquamation épithéliale. Chez d'autres, on observa une intoxication chronique; chez ceux-ci, les testicules étaient atteints de sclérose atrophique, les vésicules séminales étaient flétries et l'on n'y pouvait découvrir un seul spermatozoïde.
(4) Ce livre a été publié en 1558, par un explorateur français, André Thevet, sous ce titre: "Les singularitez de la France antarctique autrement nommée Amérique et de plusieurs terres et isles découvertes de notre temps".
(5) Cf., dans la Revue internationale de médecine et de chirurgie, 1903 (ou 1902), une clinique du docteur Lemoine sur "les états neurasthéniques".
(6) Le mot a été crée par le docteur Marc, médecin de Louis-Philippe.
Les Indiscrétions de l'Histoire, Docteur Augustin cabanés, 1907.
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