Chronique.
On s'amuse peu cet hiver; le monde officiel donne de grands bals, les millionnaires donnent quelques fêtes splendides; mais dans la classe bourgeoise, l'augmentation que le propriétaire a exigé pour le loyer absorbe l'argent affecté autrefois aux billets de spectacle; le prix qu'il faut mettre au pot-au-feu empêche qu'on puisse rien distraire de la dépense du dîner pour le thé et les gâteaux du soir. On a pris le moyen économique, pour remplir les longues soirées, de conter les événements du jour au coin du feu. Nous rapporterons quelques uns qui courent d'un foyer à l'autre, ayant l'avantage de remplacer le thé et le spectacle, et parvenant à faire passer le temps.
- M. Octave G..., fils d'un notaire de province, avait été envoyé à Paris en 1832 pour y faire son droit. Quoiqu'il travaillât assez en conscience, le jeune homme avait mené de front les études et les amours. Tous les soirs, il allait oublier le Code près d'une gentille fleuriste de la rue Saint-Honoré. Mais, la constance s'étant mise de la partie, mademoiselle Célestine N... demeura la seule passion d'Octave pendant tout son séjour à Paris.
Un jour, le fils du notaire fut rappelé en province pour y succéder à son père décédé. Il oublia les fleurs artificielles comme les fleurs champêtres; il prit l'habit noir, gagna de l'argent et se maria.
En 1845, étant resté veuf sans enfants, Octave, devenu le gros notaire G..., vendit sa charge et vint habiter Paris. Sa première pensée fut pour son ancienne Célestine et l'enfant que l'amour lui avait autrefois donné, tandis que depuis il n'en avait point eu du mariage.
Une vieille dame, qui avait habité la maison de la rue Saint-Honoré du temps de la fleuriste, lui dit que Célestine était morte en donnant le jour à une petite fille qui avait été portée aux Enfants-Trouvés.
L'heureux père court à l'hospice; on lui indique justement une petite fille de onze ans, du nom de Célestine, qui a été placée en apprentissage. M. G... va la voir, et, la voix du sang parlant haut dans son cœur, il reconnaît son enfant.
Célestine est donc aujourd'hui une grande et belle personne, admirablement bien élevée par les soins de l'ex-notaire. Celui-ci veut de plus la marier. Il présente plusieurs prétendants qui sont tous refusés.
Enfin la jeune fille, se jetant dans les bras paternels:
- Je n'épouserai jamais, dit-elle que M. Célestin, jeune artiste que j'aime, qui m'adore, mais qui n'ose se présenter, parce qu'il n'a ni fortune ni famille.
- Eh bien, qu'il vienne donc, ton M. Célestin et on verra...La peste soit des amoureux de contrebande!
L'artiste arrive.
- Pardon, monsieur, dit-il, de l'inconvenance que je commet en venant moi-même demander la main de mademoiselle votre fille; mais je n'ai point de parents pour les charger d'un tel message.
- Qui êtes-vous, jeune homme? Quel est votre passé, quelle est votre position actuelle?
- Je suis en enfant naturel; ma mère, la seule famille que j'eusse jamais connue, est morte il y a cinq ans. Je me nomme Célestin Octave R...
- Juste ciel! quel âge avez-vous?
- Vingt-deux ans.
- Quelle était la profession de votre mère?
- Fleuriste, rue Saint-Honoré.
- Octave! mon fils! mon enfant! viens que je te serre dans mes bras! Octave, tu es mon fils!
- Ah! et moi, qui suis-je donc? dit mademoiselle Célestine en faisant la plus jolie moue du monde.
-Toi, parbleu, tu seras ma bru!
Et ce qui fut dit fut fait.
Il y a de par le monde beaucoup de nouvelles littéraires; les théâtres préparent des pièces de George Sand et d'A. Dumas. On parle de la prochaine publication du Mirabeau de M. Arthur Ponroy, drame en cinq actes reçu à la Comédie Française, et arrêté depuis trois ans par la censure. Lue ces jours derniers dans un salon littéraire, la pièce a produit le plus grand effet, et tout le monde a présagé à cette prochaine publication le plus éclatant succès.
Paul de Couder.
Journal du Dimanche, 25 janvier 1857.
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