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jeudi 23 janvier 2014

Histoire d'une pelisse.

Histoire d'une pelisse.

Au moment où le général Galliffet est l'objet, dans ses actes, de l'attention universelle, au temps où, selon l'expression imagée de M. Paul de Cassagnac, il est devenu le "clou" du ministère Waldeck-Rousseau, nous avons cru intéressant de publier les lignes suivantes, signées de son nom, avec l'annotation de sa main, qui se rapporte audit nom, et qui rappellent un  des épisodes les plus touchants de sa carrière de soldat.

Dans les derniers jours de l'année 1854, M. Geiger, le culottier en vogue, voyait entrer chez lui un de ses clients.
- Mon cher Geiger, lui dit-il, je pars pour la Crimée faire une visite à mon beau frère, officier dans l'armée qui assiège Sébastopol. Il fait un froid de chien, là-bas, je veux lui apporter une pelisse bien fourrée; faites-en deux, l'autre sera pour moi. Nous avons, mon beau frère et moi, la même taille. je pars demain; vous emballerez les pelisses et m'enverrez la caisse chez moi demain soir avant sept heures, dernier délai.
Quinze jours plus tard, l'officier apprend que son parent était en rade de Kamiesch.
Obtenir l'exeat du général de Cissey, galoper jusqu'à Kamiesch et escalader le bord, ce ne fut pas long.
Après mainte accolade, la caisse fut ouverte, l'officier prit au hasard une des deux pelisses, l'attacha sur le devant de sa selle et regagna son quartier.
A cette époque, la France n'avait pas encore commencé l'envoi de ses dons nationaux; cette pelisse, qui tombait au milieu des loques dont nos officiers étaient couverts, prit les proportions d'un événement. Elle fut tournée et retournée entre les mains de tous, puis endossée par son heureux propriétaire.
En mettant les mains dans les poches de la pelisse, l'officier sentit qu'un papier avait été cousu à l'intérieur. Il le retira avec précaution et lut ce qui suit:
" Cette pelisse est destinée à l'un des officiers de notre brave armée d'Orient. Qu'elle lui porte bonheur! Deux jeunes femmes y ont travaillé pendant la journée du.... et la nuit du .... Elles l'accompagnent de tous leurs vœux!"
Aucune signature.
L'auditoire fut ému jusqu'aux larmes de ce témoignage d'une sympathie qui s'adressait à toute l'armée.
Dans les derniers mois de 1855, le sous-lieutenant rentrait en France, tout entier, cité et décoré. Il voulut remercier celles qui lui avaient porté bonheur. Ce fut impossible: elles persistaient à garder l'anonymat.
Leurs vœux accompagnent encore le jeune officier de l'armée d'Orient, car il est aujourd'hui général de division et grand-croix de la Légion d'honneur. Il se rappelle toujours avec une vive émotion ce charmant épisode de sa jeunesse.















La Vie Illustrée, 20 juin 1899.

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