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mercredi 8 janvier 2014

Mademoiselle Sauvan.

Mademoiselle Sauvan.

Mlle Lucile Sauvan, née le 23 mars 1784, à Paris, morte le 10 janvier 1867, est une des personnes qui de notre temps ont rendu le plus de service à l'éducation.
A sa naissance, sa famille était riche; mais avant même son adolescence, Mlle Sauvan connut, sinon la pauvreté, du moins la gène, et jamais la fortune ne revint à elle. A douze ans, elle savait à peine lire; à vingt ans, son instruction était très-variée et très-étendue. Elle était très-petite de taille et frêle, dit-on, comme un roseau; moralement, elle était forte et grande; on l'a décrite ainsi: "Une intelligence vive et originale, un jugement sûr et ferme, une âme élevée, beaucoup d'indépendance de caractère, avec une franchise qui ne sut jamais dissimuler la vérité; une énergie de volonté à toute épreuve, assez d'esprit pour étonner ceux qui en avaient le plus, et pourtant, ce qui est peut être plus rare que l'esprit, une modestie charmante, qui n'avait d'égale qu'une inépuisable bonté."
Bouilly, l'excellent auteur des Contes à ma fille, dont beaucoup de personnes âgées aujourd'hui ne peuvent parler qu'avec reconnaissance, avait autant d'estime que d'affection pour Mlle Sauvan, liée d'une intime amitié avec sa fille Fulvie. Quelques-unes des lettres échangées entre les deux jeunes amies, de 1806 à 1812, vingt-sept, existent encore, et montrent combien étaient justes leurs idées et combien étaient élevés leurs sentiments.
A vingt-sept ans, elle prit la direction d'une maison d'éducation située à Chaillot, et que son père avait acheté au prix du peu d'argent qu'il lui restait. De ce pensionnat ignoré, elle fit en peu d'années la première des institutions de jeunes filles. "Les plus grandes familles, dit une de ses anciennes élèves, étaient désireuses de confier à cette femme supérieure l'éducation de leurs filles. Vénérée des parents et chérie des élèves, elle eût pu assurer sa fortune, si, non contente de faire vivre dans une grande aisance toute sa famille, elle n'avait encore accepté gratuitement comme élève des jeunes filles qui, frappées par des revers de fortune, s'adressaient à son inépuisable bonté, à son infatigable dévouement."
"Levée à cinq heures du matin, elle consacrait sa journée toute entière à ses élèves: elle surveillait leurs études, dirigeait leur esprit, formait leur cœur par des entretiens élevés, toujours intéressants... Elle nous avait inspiré un si profond attachement, que nous n'aurions pas pu vivre heureuses, si nous en avions été privées."
Mlle Sauvan était arrivée à l'une des situations les plus honorables et les plus dignes qu'il soit possible à une femme de désirer, lorsque "des raisons de famille", dit l'élève que nous venons de citer, l'obligèrent à quitter cette maison qu'elle aimait et qu'elle avait dirigée pendant dix-sept ans, et à rentrer dans la vie privée." Elle se retira pauvre, elle avait alors quarante-quatre ans, et le temps du repos était loin d'être venu pour elle. Les hommes éminents qui s'intéressaient le plus à l'éducation avaient apprécié son caractère et les services qu'elle avait rendus. Au mois de mai 1831, elle fit appelée à faire des conférences à un cours normal institué dans l'intérêt des jeunes filles qui se destinaient à l'enseignement. Elle a rédigé ces conférences, qu'elle continua gratuitement, avec le plus remarquable succès, jusqu'en 1835, sous le titre de Cours normal, ouvrage couronné par l'Académie française.
Le 13 avril 1835, Mlle Sauvan fut nommée inspectrice des écoles communales de filles de la ville de Paris. Cette fonction, qui lui convenait si parfaitement, avait été créée pour elle et sur la désignation unanimes des directrices d'écoles et des dames patronnesses. Elle y a fait preuve jusqu'à le fin de sa vie de qualités supérieures, et l'heureuse influence qu'elle a exercée mérite que son nom soit inscrit à côté de ceux qui ont été, à juste titre, considérés comme des maîtres et des bienfaiteurs dans la carrière si noble et si difficile de l'enseignement. Son expérience se trouve comme résumée dans le livre qu'elle a intitulé: Manuel pour les écoles communales, et auquel l'Académie française a aussi décerné un prix. On ne saurait trop recommander aux jeunes institutrices la lecture de cet ouvrage; il est toujours pédagogique et complète très-utilement le Cours normal, dont les extraits suivant feront apprécier le caractère:
" Élever et instruire, dit Mlle Sauvan, est une tâche qui suffit à l'occupation de toute une vie et à l'emploi de toutes les facultés.
"Il a des enfants dont les progrès sont lents et pour ainsi dire imperceptibles; ce sont ces progrès-là qu'il faut apercevoir et apprécier. Ne dédaignez rien; ce qui vous paraît peu de chose a peut-être coûté de grands efforts; peut-être l'enfant croit-il, peut-être même sent-il qu'il ne saurait aller plus loin; il est content de lui, il se fait une joie de votre consentement. Quel ne serait pas son mécompte si votre approbation venait à lui manquer? Il ne tenterait plus rien, certain de ne pas réussir; vous le jetteriez dans le découragement, et sa paresse se ferait bien vite un prétexte de son impuissance.
"Si vous n'avez pas la patience d'enseigner, comment exigeriez-vous qu'un enfant eût la patience d'apprendre?
"Qu'est-ce qu'un défaut? Une mauvaise disposition qui nous domine constamment. Qu'est-ce qu'une faute? Une mauvaise disposition à laquelle nous cédons par faiblesse, par légèreté. La faute est un fait isolé; le défaut est la répétition fréquente de ce fait. Pour le défaut, il faut punir; pour la faute, il faut simplement avertir.
"Il faut paraître attendre beaucoup d'un enfant pour obtenir un peu. L'éloge est un grain qui germe et produit souvent.
"Cherchez à corriger les enfants moins des défauts dont vous souffrez que de ceux dont ils auraient à souffrir un jour.
"Avec les enfants, il faut être préparé à toutes sortes de questions, et il ne faut jamais les tromper... L'enfant que vous renvoyez sans réponse adressera à d'autres la question à laquelle vous n'avez pas voulu répondre: car la curiosité n'est éteinte que lorsqu'elle est satisfaite. Etes-vous sûres que chacun imitera votre silence, ou qu'un autre répondra mieux que vous ne l'auriez fait?
"Pris dans le sens moral, l'ordre, c'est la vertu; car tout ce qui est blâmable est hors de l'ordre. La soumission aux lois, c'est l'ordre; le respect des propriétés, c'est l'ordre; la stricte observation des droits de chacun, c'est l'ordre." (1)

(1) On trouvera beaucoup d'autres développements intéressants et utiles dans l'ouvrage intitulé: Mademoiselle Sauvan, par M. Emile Gossot, 1878.

Magasin Pittoresque, 1879.

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