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dimanche 26 janvier 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

Les ailes que portait le dieu Mercure étant devenues l'attribut des voleurs, il n'est pas étonnant que, en dépit de tant de police, ils continuent leur carrière, et passent par dessus le tricorne de tous les sergents de ville.
Voici, selon nous, un des plus admirables tours de ces messieurs:
Un individu, de quarante ans environ, en paletot, casquette et moustaches, se présente chez madame B..., fabricante d'orfèvrerie, rue de l'Arbre-Sec. Il se dit chargé d'acheter six couverts pour une personne de la rue de Savoie. On s'empresse de lui montrer ce qu'il y a de mieux en ce genre, et il fait son choix. Le prix est fixé à deux cent cinquante-quatre francs. "Avant de les solder, dit l'individu, je désirerais les faire voir à la personne qui les achète; veuillez me faire accompagner par un de vos commis avec la facture acquittée."
Cette demande paraissant naturelle, l'acquéreur et le commis partent ensemble pour la rue de Savoie.
Arrivés devant la maison qui porte le numéro 16, ils entrent et montent chez le docteur B... L'individu entre chez le médecin en disant à Jules D..., l'employé de la maison d'orfèvrerie, de l'attendre dans l'antichambre. Une fois dans le cabinet de consultation, le voleur se plaint au docteur de quelque léger mal; puis, après avoir reçu l'ordonnance, il sort par la porte opposée à celle où il est entré, en emportant les couverts qui n'étaient pas sortis de sa poche.
Un instant après, on introduit à son tour le commis chez le docteur. Celui-ci attend que le jeune homme fasse connaître sa maladie; le commis attend que le médecin paye les couverts. On est quelque temps sans rien dire, puis tout s'explique; on court après l'individu en casquette et les couverts, mais on ne trouve plus rien.
Voici une autre escroquerie, qui frise le scandale:
Une dama de Montpellier, fort riche et fort dévote, était atteinte d'une maladie mortelle. Un frère du couvent des Carmes, qui fréquentait la maison, lui dit un jour qu'il venait d'écrire à la sainte Vierge, pour qu'elle procurât à la malade quelque consolation en ses souffrances; il avait fait parvenir sa lettre par l'entremise d'un frère de sa maison, récemment trépassé.
La sainte Vierge avait répondu par la même voie. Elle donnait toutes sortes de conseils salutaires à la malade et, entre autres, l'engageait à faire des dons d'argent et d'argenterie au couvent des Carmes.
La correspondance continua, et, à chaque lettre, la dame, selon les bons avis qu'elle en recevait du ciel, redoublait ses libéralités.
Mais l'affaire s'ébruita, et la justice en prit de l'ombrage. Un avocat s'empara de la cause, et rédigea un mémoire dans lequel les manœuvres du frère Carme étaient de point en point révélées.
Le mémoire est en ce moment soumis au tribunal, et l'autorité ecclésiastique fait tous ses efforts pour la retirer.
On ne sait comment l'affaire finira; en attendant toute la ville s'en occupe.
Il paraît que la crédulité humaine n'a pas de bornes; on en trouve un autre exemple non moins extraordinaire.
Dans le canton de Gençay (Vienne), une jeune fille nommée Virginie Frère, et douée d'une beauté remarquable, se donnait comme illuminée. Elle disait avoir des relations immédiates avec le ciel, et, sur sa demande, les anges répondaient à tout ce qu'on voulait savoir sur la terre. Cette visionnaire se signalait par ses toilettes éblouissantes, dans lesquelles l'ampleur des jupes figurait au premier rang.
Mais, parmi ceux qui voulaient la consulter et rétribuaient généreusement ses révélations, il se trouvait un beau jeune homme. Virginie s'en éprit subitement, et jeta tout à coup sa divinité aux orties pour se marier comme une simple mortelle.
Le mariage vient de se conclure et fait grand bruit dans cette province.
A propos des beautés en crinoline, ajoutons ceci:
Une dame, majestueusement mise, passait tous les jours à la barrière du Maine, sans que les commis de l'octroi la remarquassent autrement que pour admirer sa superbe rotondité de jupe, sur laquelle brillaient les plus beaux reflets de la soie.
Mais un jour, un cri s'échappe de dessous cette jupe; et dans ce cri, il est impossible de méconnaître la voix perçante d'un poulet.
Aussitôt la crinoline est conduite au poste, et visitée; on trouve un cerceau parfaitement garni d'oies, poulardes et chapons. Une semblable provision entrait tous les jours à Paris sous les ailes de la belle dame et arrivait sans encombre, lorsque le malheur avait voulu qu'on y joignît un poulet en vie.
Si l'on joint à cela le tour de cette immense crinoline, qui, dans un de ces derniers jours de grand vent, a soulevé de terre une dame et lui a fait craindre d'être emportée sur les toits, on pourra conclure que, depuis quelques temps, les jupes à ballon se montrent bien coupables, et qu'ils serait grand temps d'en finir avec elles.

                                                                                                            Paul de Couder.

Journal du Dimanche,15 février 1857.

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