Le pays où les servantes sont les plus heureuses.
Il y a en ce moment en Angleterre une véritable disette de domestiques féminins. Les bureaux de placement sont envahis non par des bonnes en quête de places, mais par des dames fatiguées et découragées de leurs recherches inutiles.
C'est un de ces cas exceptionnels où les offres d'emploi sont beaucoup plus nombreuses que les demandes.
Les gages des domestiques ont augmenté de vingt-cinq pour cent, ceux des "bonnes à tout faire" (general servants) de cinquante pour cent.
Et cependant, nulle part les servantes n'ont la vie aussi facile et plus heureuse qu'en Angleterre.
Les petites bonnes, celles qui ne savent encore rien faire, gagnent facilement 30 à 40 francs par mois. Celles qui ont une spécialité, la cuisine ou le ménage, sans être cependant des domestiques supérieures, trouvent des places de 70 et 80 francs autant qu'elles en veulent. Elles ne se privent de rien, s'habillent comme les dames et ont beaucoup de temps à elle. Leur travail n'est pas très dur, car, dans les bonnes maisons anglaises, il y a toujours beaucoup de domestiques et chacun a ses fonctions particulières.
Une bonne qui fait les chambres ne voudrait jamais servir à table et réciproquement. On engage exprès un jeune garçon de quatorze à seize ans, pour cirer les souliers, nettoyer les couteaux, etc.
Les servantes anglaises appartiennent presque toujours à des familles de domestiques, dans lesquelles ces emplois se transmettent de génération en génération.
Il y a donc une classe de serviteurs qui forme une véritable caste. Ils se marient toujours entre eux, et la seule ambition d'un ménage de domestiques est de placer ses enfants dans une "grande maison". Il faut voir les jeunes filles servir à table ou annoncer des visites avec leur dignité calme et supérieure pour se rendre compte de l'importance qu'elles se donnent et qu'elles ont réellement.
La servante anglaise est un type particulier qu'on ne retrouve nulle part et qui fait partie de la nature et du caractère spécial de l'Angleterre.
Aussi, on comprendra l'émotion des maîtresses de maison tout à coup privées d'une façon inexplicable de leurs maids, de leurs servantes.
On essaie de les remplacer par des hommes mais sans succès.
On raconte qu'une famille très connue avait engagé un cuisinier hongrois et un Alsacien comme "homme à tout faire". Au commencement tout allait bien. Les jeunes gens adoraient l'Alsacien parce qu'il nettoyait deux fois par jour les bicyclettes de la maison. Mais un beau jour, le Hongrois déclara qu'il n'était pas venu en Angleterre pour travailler comme un esclave; l'Alsacien était du même avis et ils s'en allèrent tous les deux, abandonnant leurs maîtres, qui sont forcés aujourd'hui d'aller manger au restaurant, en attendant la solution de la question des domestiques. La question des domestiques a plus d'importance qu'on ne pourrait se l'imaginer et un auteur dramatique affirmait récemment dans une amusante comédie, Les Tabliers Blancs, qu'elle suffisait à faire divorcer de déjà vieux époux!
Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 10 mai 1903.
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