Conseils à une jolie femme.
C'est un honneur bien périlleux que celui d'être "jolie femme"; il n'est pas facile de s'acquitter avec grâce des charges que cette dignité suppose ni d'user avec tact des privilèges qu'elle confère.
La réputation de "jolie femme" s'obtient aisément. Avoir un aimable visage, un corps élégant, dire et faire des riens d'une façon coquette, par dessus tout cela, savoir mettre ses qualités en relief, voilà les conditions suffisantes pour la conquérir.
Le titre une fois obtenu, l'heureuse lauréate est classée un peu à part; on la regarde avec plaisir, on l'écoute avec complaisance, on lui passe bien des fantaisies, quelquefois mêmes des petites méchancetés.
Elle est fêtée partout, à la fois par les femmes qui l'envient et par les hommes qui l'admirent; personne ne reste indifférent à son charme.
Et c'est alors que commencent les difficultés du rôle; cette faveur, la jolie femme ne la tient, en somme, que de la complaisance, de la modestie ou de l'abnégation des autres; elle doit la leur rendre en dépensant pour eux sa grâce et sa séduction. Malheureusement un cerveau fragile se laisse gagner par l'encens et arrive à se persuader que ses seuls mérites lui ont valu toutes ces faveurs.
Aussi une jolie femme devient souvent insupportable; elle se croit un centre important. Parce que ses amies l'ont louées, elle oublie que chacune d'elles peut avoir quelques prétentions et elle les laisse volontairement dans l'ombre, comme si elles ne comptaient plus; parce que quelques hommes graves ont suspendus leurs discussions pour écouter poliment ses théories enfantines, elle se croit capable d'émettre un avis sur tous les sujets et de trancher avec aplomb dans chaque question. Elle parle de sa toilette, de sa santé, de ses amis; elle met volontiers en avant son mari ou ses fils, parce que c'est une façon détournée de parler encore d'elle. Quelques unes aiment à se poser en personnalité forte dont l'expérience et les vertus sont hors de pair:
"Moi, je n'ai pas l'habitude de consulter mes fils, ils obéissent sans discussion. Mon mari prend toujours mon avis avant de conclure une affaire. "
D'autres se traitent avec des ménagements câlins:
- Mon mari préfère que je n'assiste pas au concert; il redoute pour moi la fatigue...mes enfants ont pris l'habitude de modérer leurs jeux en ma présence, ils savent que mes migraines sont affreuses...mon oculiste, mon docteur, ma chaise longue, mes insomnies, ma grande sensibilité, etc.
Le besoin de se rendre intéressantes leur fait négliger les plus élémentaires principes de la politesse.
Je connais une de ces jolies femmes étourdie qui a commis dernièrement un impair impardonnable.
Dans une soirée où de nombreux hommes lui avaient tourné la tête, un monsieur âgé lui disait:
- Je crois, madame, avoir eu déjà l'honneur de vous être présenté.
Elle ne se souvenait pas. Elle voulut affirmer une fois de plus combien elle était répandue dans le monde et recherchée de tous, et dit: Je l'ignore, monsieur; je suis si souvent invitée au dehors, tant de personnes demandent à m'être présentées, que je ne puis me souvenir de tous les visages.
N'est-ce pas une parole à placer sur les lèvres d'un chef d'Etat, si nos chefs d'Etats n'étaient pas courtois? Une jolie femme qui est intelligente s'efforce au contraire d'utiliser tous ses dons naturels et de profiter de tous ses privilèges, pour se faire plus séduisante, plus aimable, plus charmeuse.
Madame Elise.
Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 26 avril 1903.
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