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jeudi 2 janvier 2014

Les voix d'or.

Les voix d'or.

La plus célèbre, la plus productive aussi, des "voix d'or" échut à Adelina Patti, l'ex-marquise de Caux. Adelina Patti a gagné, sa vie durant, vingt-cinq millions. Et il lui arriva de récolter, en douze mois particulièrement fructueux, un million sept cent cinquante mille francs, autant que reçoivent en une année 875 employés de l'Etat payés deux mille francs.
Mme Nilsson, aujourd'hui comtesse de Mirande, a conquis un joli butin sur les planches: dix millions. Et notez que le "rossignol de Suède" n'a pas chanté très longtemps en public. Il a gardé ses trilles les plus hardies pour égayer son propre nid.
On ne serait dire quels seront les gains réalisés par Mme Melba, quand elle nous aimera assez peu pour ne plus chanter. Pour l'instant, l'admiration des Parisiens lui offre vingt-cinq mille francs par semaine. Et les gens qui veulent entendre sa voix d'or, sous leurs lambris, doivent déposer dans son escarcelle deux cent cinquante louis.
Si les Patti, les Nilsson, les Melba prélèvent des tribus dignes d'être offerts à une souveraine, les cantatrices moins universellement admirées, comme Clara Butt, Ada Crossley, exploitent encore heureusement leur gosier. Ces grandes artistes gagnent, dans une heure,  de cinq cents à mille francs, chez telle ou telle maîtresse de maison, donnant une grande soirée musicale.
Il est assez curieux de constater que les plus belles voix d'homme n'obtiennent pas un succès d'argent aussi grand que les voix de femmes. Les frères de Reszké, si justement admirés dans les deux mondes n'ont gagné en un quart de siècle que vingt-cinq millions. C'est peu, étant données les rançons prélevées par la Patti.
Peut être trouvera-t-on que les cantatrices de quelque renom gagnent un peu plus d'argent qu'elles ne le méritent véritablement. Il est tant de jeunes filles courageuses qui traversent la moitié de Paris pour donner une leçon de chant à quarante sous! Mais c'est affaire de mode, d'engouement!
Les mieux douées de ces grandes artistes sont de véritables phénomènes qui, ne redoutant pas la concurrence, exigent de leurs admirateurs tout ce qu'il peuvent leur donner.
Et notre civilisation, en adulant, en accablant de richesses les cantatrices merveilleuses, ne fait qu'imiter les civilisations anciennes. On a retrouvé dans un sarcophage près des restes d'une artiste égyptienne le gosier qui avait charmé quelque pharaon. On avait voulu, à l'aide d'aromates, conserver plus particulièrement cet organe, qui avait merveilleusement exprimé les joies et les douleurs humaines.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 19 avril 1903.

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