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mercredi 4 septembre 2013

Chronique du journal du dimanche.

Chronique du Journal du Dimanche.

Le crime le plus épouvantable est celui auquel se joint une odieuse injustice.
A Rueil, près de Paris, au moment des vendanges, le sieur P... vigneron, avait pris à la journée, sans le connaître, un individu qui se disait libéré récemment d'un régiment de dragons et sans ressources pour vivre.
Au bout de peu de jours, le sieur P..., mécontent de ce vendangeur, lui fit quelques observations. On était dans les vignes; il s'éleva une vive contestation. Le vigneron dit à l'inconnu d'aller chez lui demander le prix de ses journées à Marguerite P..., sa fille, puis de chercher de l'ouvrage ailleurs.
La jeune Marguerite, pendant les vendanges, restait toujours à la maison pour préparer les repas des travailleurs. Son père, en rentrant au logis, croyait donc trouver sa fille Marguerite et son souper servi.
En pénétrant dans la maison, il la trouve déserte et obscure. En même temps que lui, il arrive du monde, on se procure de la lumière et on parcourt la demeure.
Un malheur sans nom vient foudroyer le malheureux cultivateur: il trouve sa fille, la jeune et charmante Marguerite, égorgée, et déjà refroidie dans la mort que cet ouvier chassé lui a donné pour se venger.
Le village de Ruel est encore en émoi de ce meurtre horrible, et la justice recherche activement le monstre qui l'a commis.
Un assassinat vient aussi d'être commis à la Borde-Rouge, commune de Pamiers, sur la personne de la dame Jouet, née Vignes, âgée de soixante-huit ans. Les magistrats et les médecins, arrivés sur le lieu du crime, ont reconnu que la mort avait été donné à l'aide d'un acide corrosif; mais, à ce qu'il paraît, l'action ne se produisant que trop lentement au gré du coupable, celui-ci aurait hâté la mort au moyen de la strangulation.
La dame Jouet avait à son service la nommée Marie Salles, née à Sentenac, une fille toute confite en dévotion, ne jurant que par les plus grands saints. Les soupçons se portèrent néanmoins sur elle; elle fut arrêtée. Le maréchal des logis de la gendarmerie, à la garde duquel elle fut confiée, ayant, on ne sait comment, mérité sa confiance, Marie lui a avoué qu'elle avait empoisonné et étranglé sa maîtresse pour la voler.
Mais voici des coupables d'une autre espèce pour lesquels nous sollicitons l'indulgence publique.
Le sieur Edouard G..., marchand de bois, rue de Charenton, à Bercy, prit l'omnibus n° 243, ligne R, pour rentrer chez lui; à son arrivée, il reconnut avoir perdu un porte-monnaie contenant une somme de huit cents francs en or. Il se rendit aussitôt au bureau des omnibus pour en faire la déclaration. Le conducteur de la voiture, interpellé, affirma n'avoir rien trouvé; et, M. G...étant arrivé par le dernier trajet, l'omnibus avait été conduit, bientôt après, vide de voyageurs, au dépot général, boulevard de Charenton.
Tout était dit par là. Mais le lendemain, la police, qui ne laisse rien perdre, fut instruite qu'à la barrière voisine plusieurs enfants venaient de se trouver indisposés pour avoir absorbé trop de friandises de tout genre. Des agents se transportèrent sur les lieux. Ils trouvèrent quelques-uns de ces viveurs à demi étouffés de gâteaux et de pain d'épice, d'autres complétement plongés dans les vignes du Seigneur. De plus, l'or ruisselait dans leurs mains; et ceux qui pouvaient encore se tenir debout jouaient au bouchon avec ces pièces brillantes.
Un des enfants du quartier avait de plus découché de chez ses parents; depuis la veille au soir, on ne savait ce qu'il était devenu. Peu d'heures après, on trouva celui-ci cavalcadant au bois de Boulogne sur un âne. Depuis le matin, il se livrait à cet exercice, et avait plusieurs fois demandé à celui qui lui louait ce coursier de le lui vendre, ne voulant plus, sans doute, dans sa haute fortune, aller à pied.
Cet enfant de onze ans, nommé Zéphirin G... était celui qui avait trouvé le porte-monnaie en montant dans l'omnibus vide pour jouer. Il avait distribué grand nombre de pièces d'or entre ses camarades, en leur recommandant de bien s'amuser, et, gardant pour lui la meilleure part, il avait passé la nuit et la journée à s'en donner, si bien que les fonds étaient déjà presque dissipés.
Somme toute, des huit-cents francs perdus, on n'en a retrouvé intacts que quatre-vingt-dix-sept; mais tous les petits débauchés ont été provisoirement arrêtés pour avoir à rendre compte de leur conduite.
En fait d'argent gaspillé, tout le monde a entendu parler de cet homme qui, dans le jardin du Luxembourg, assis sur un banc près de la grille qui fait face à la rue Vavin, s'amusait à déchirer en menus morceaux des billets de banque. Les promeneurs qui, après son départ, ont ramassés les fragments tombés sur le sable, et ont trouvé des parcelles de billet de mille francs et autres, les ont déposés chez le commissaire de police. Depuis, on a apprit seulement que l'auteur de cet acte étrange était le sieur Z..., qui avait récemment reçu ces fonds d'un héritage de famille. Mais on ignore encore s'il a agi ainsi par accès de folie ou par un profond et bizarre mépris des richesses.

                                                                                                                Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 30 novembre 1856.

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