Il existe réellement un roi des mendiants, à qui son titre confère des fonctions bien déterminées. Ce roi est un Chinois, et sa capitale est Pékin. Il est élu (chose curieuse) au suffrage universel par les mendiants de la ville. Il doit être marié, car en même temps qu'un roi, il faut une reine. Le roi traite et discute pour la corporation avec les autorités politiques et policières de Pékin. En effet, l'organisation des mendiants est reconnue; songez, du reste, que les mendiants sont, à Pékin, au nombre de cent à cent cinquante mille et forment un sixième de la population. Ils ont un tarif de mendicité et mettent la ville en coupe réglée. Si un habitant ne veut pas payer le tarif, le mendiant reste obstinément devant sa porte, et il revient le lendemain avec une armée de mendiants syndiqués. Force est bien de s'exécuter. Pour simplifier, il y a des gens, des commerçants par exemple, qui paient à l'année. Le roi leur signe alors un reçu sur papier jaune. "Nos frères sont priés de ne pas causer d'ennui à cette maison", y est-il dit. Si un mendiant se présente, il n'y a qu'à exhiber le reçu et il se retire.
Les mendiants de Pékin sont des types curieux. Ils vivent en commun et se ressemblent tous. Ils ont le visage velu et terreux; ils ne portent pas la queue sur le dos comme les autres Chinois; la justice la leur fait couper. Ils ont généralement peu ou point de vêtements, mais portent toujours des sandales, ils aiment le jeu, particulièrement les dès et les dominos. On en rencontre souvent une file de douze à quinze, la main gauche de chacun posée sur l'épaule droite de celui qui le précède. Ce sont les mendiants aveugles; il y en a beaucoup. Deux fois par an, il y a ce qu'on appelle le "jour des mendiants". Ce jour-là, les mendiants peuvent prendre impunément à la porte des boutiques une poignée de riz. Le roi a sa liste civile et s'abstient de mendier.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 février 1903.
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