La Société de géographie Commerciale a reçu d'un commerçant établi à Montréal une lettre qu'elle veut bien nous communiquer et dont nous publions quelques extraits intéressants pour les lecteurs du Journal des voyages qui s'occupent de l'émigration:
"Il est indiscutable que le Français qui arrive au Canada pour s'y créer une situation, qui y arrive après avoir lu tous les ouvrages, livres, brochures, journaux qui parlent du Canada, n'y rencontre neuf fois sur dix que la plus amère déception.
- Je voudrais que sur tous ces ouvrages, on mit en épigraphe cette phrase qui m'a été dite par un Canadien des plus hauts placés: "Oh! oui, nous aimons la France, notre belle France, mais nous nous défions terriblement de tous les Français !"
"Il faut donc bien nous persuader que pour réussir, il faut nous plier aux usages commerciaux anglais, qui sont ceux du Canada, et ne pas croire qu'il suffit de venir décliner notre titre de Français pour voir toutes les portes s'ouvrir devant nous.
"Il y a plusieurs maisons françaises qui sont arrivées à s'imposer. Je dirais même qu'elle jouissent de plus de vogue que les autres. Mais au prix de combien de travail et de sacrifices ont-elles obtenues ce succès ? Pour vous parler de la nôtre, par exemple, mon associé, ancien directeur général d'une des deux ou trois plus importantes compagnies d'assurance de Paris, ayant une fortune considérable et se trouvant administrateur du Crédit foncier canadien; moi arrivant avec des lettres d'introduction auprès de plusieurs ministres, fondé de pouvoir des établissements de premier ordre tels que la maison Cail, par exemple. Nous possédions les capitaux nécessaires, nous offrions des références financières et techniques telles qu'on peut en présenter rarement. Nous avions un stock de marchandises, le plus chaud appui du consul général et des vice-consuls de France, et nous avons été six mois pour enlever notre première affaire. Et savez-vous avec qui nous l'avons faite ? Avec les Anglais de la province d'Ontario ! Par exemple, dès que ce grelot a été attaché et qu'on a su par les journaux le succès des travaux entrepris, nos bureaux sont sans cesse remplis de gens qui viennent nous proposer des affaires.
"Est-ce donc à dire que je crois le Canada impropre à être un débouché pour nos produits et impropre à être un pays d'émigration ? Non, loin de là, ma persuasion est qu'au contraire il y a lieu pour la France de reconquérir le Canada par ses capitaux, son industrie et son commerce, qui ont un large et très sur champ dans ces immenses et riches provinces. Déjà le consul général de France vient de réussir à faire contracter au Crédit lyonnais l'emprunt de la province du Québec. C'est un brillant succès qui a littérallement stupéfié les Anglais.
.....
"Le résumé de mon opinion sur le Canada est que ce peut être un vaste et riche champ d'émigration et un superbe débouché pour notre industrie et notre commerce, mais il est de toute impossibilité d'y réussir sans un capital assez considérable et sans un travail acharné. J'ajoute que j'ai connu peu de pays où la conduite privée d'un individu ait plus d'influence sur son crédit d'affaires."
Journal des Voyages, 11 février 1889.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire