Si j'ai un conseil à donner à mes compatriotes disposés à faire un voyage sur quelque point du globe que ce soit, c'est de ne choisir, pour rien au monde, un navire anglais comme moyen de locomotion. Nulle part, ils ne rencontreront si peu confortable et un manque aussi complet d'hospitalité.
C'est une expérience récente qui me permet d'émettre ces propositions et il me suffira pour les justifier de noter quelques unes des observations que j'ai pu faire dans un parcours de quatre à cinq mille lieues.
J'étais appelé en Amérique par des évênements dont la presse française s'est beaucoup occupée, mais que je me dispenserai de rapporter ici, me réservant d'en faire en temps utile le récit complet et détaillé. Un syndicat de capitalistes anglais qui m'avait offert son concours dans l'entreprise que je tentais, exigea que je prisse la voie anglaise pour me rendre à Demerara-Georgetown, capitale de la Guyane anglaise, et je m'embarquai, le 27 juillet dernier à Southampton, sur le Medway, grand paquebot anglais mesurant 120 ou 125 mètres de longueur.
J'avais avec moi ma femme, mes deux fils et six compagnons de route. Le Medway sortit des docks à midi et alla attendre à l'entrée de la rivière que la marée fut assez forte pour lui permettre de prendre le large. Tous les passagers avaient emmené avec eux pour les accompagner dans cette promenade leurs parents et leurs amis qu'un petit navire devait venir prendre avant le départ définitif du paquebot et ramener à Southampton. Un lunch assez confortable fut servi dans la grande salle à manger du bord, auquel tout le monde, passagers et étrangers, fut invité à prendre place. Les membres du syndicat qui nous accompagnaient parlaient à peu près le français, de sorte que cette première étape s'accomplit assez gaiement. Ce ne fut qu'après que notre paquebot eut pris le large que nous nous trouvâmes dans le milieu exclusivement britannique où nous devions vivre dix-huit jours avant d'arriver au terme de notre voyage.
Le premier soin des passagers, dont un grand nombre s'embarquait pour la première fois, fut bien naturellement de visiter la grande maison flottante où ils étaient condamnés à vivre plus ou moins longtemps entre le ciel et l'eau. Cette inspection fut à l'avantage du navire. Le Medway faisait seulement son second voyage depuis qu'il avait été remis à neuf; c'est à dire qu'il était tout reluisant de vernis et de dorures.
Les cabines de première classe où nous nous installâmes étaient étroites mais contenaient tout ce qui est indispensable aux voyageurs, toilette, table de nuit, porte-manteaux, tablettes pour y déposer les menus objets, filets semblables à ceux qu'on trouve dans les compartiments des wagons de chemins de fer. Ajoutons que ces cabines, comme tout le bateau, étaient éclairées à la lumière électrique et qu'il suffisait à chaque passager de manoeuvrer un bouton pour éclairer sa cabine ou la plonger dans l'obscurité.
Deux heures après le départ, nous étions tous fixés sur le genre de vie que nous étions appelés à mener pendant la traversée, car chacun avait pu lire le réglement à bord dont une traduction en français, affichée dans un couloir, jonglait avec une désinvolture sans pareille avec la grammaire et l'orthographe.
Certes ! si nous avons eu à maudire chaque jour l'infernale cuisine des Anglais, ce n'est ni du nombre de repas, ni de la quantité des mets que nous aurions pu nous plaindre. Dès le matin, à six heures, on servait le café et le thé au lait, avec accompagnements de petits fours, de beurre, de jambon et de confitures. Je dois dire que, vu l'heure un peu matinale de cette collation, peu de personnes y faisaient honneur.
A neuf heures, un grand déjeuner composé d'une dizaine de plats au moins, sans compter les desserts variés, attendait les passagers dans la salle à manger du bord. Puis à une heure, c'était le lunch composé de viandes froides; à six heures, le diner, repas copieux et le principal de la journée; à huit heures, le café et le thé. Il semble qu'un pareil régime soit fait pour satisfaire les estomacs les plus exigeants, et cependant, comme toute médaille, ce tableau a son revers.
Ces repas copieux et répétés se composaient invariablement de mets fades et sans saveurs: poissons et pommes de terre bouillis à l'eau sans sel et sans épices; viandes mal cuites, toujours bouillies à moitié avant d'être rôties, lègumes de conserve non moins fades que les autres mets, gâteaux et patisserie lourds et grossiers. Joignez à cela que viandes, légumes, salades étaient conservées à bord par la méthode frigorifique et que pas une fois, il nous a été donné de manger des aliments frais.
Pour mon propre compte, doué de peu d'appétit, je me serai aisemment consolé de ce régime, me rabattant sur le fromage de Chester et sur les confitures qui figuraient à peu près à chaque repas, mais ce que jamais un Français n'acceptera volontiers, c'est l'absence absolue de toute boisson autre que de l'eau claire. Ni vin, ni bière, ni cidre; pas même de thé ou de café, tel est le régime invariable des Anglais à bord, comme chez eux et dans les restaurants de Londres et dans les autres villes anglaises. Nous en fûmes ainsi réduit à payer, en dehors du prix de nos places, du vin que nous achetions à la buvette du bord à raison de trois francs la bouteille en nous contentant de la qualité la plus inférieure. Que les Anglais ne viennent pas nous vanter le bon marché de leurs transports; si vous ajoutez à ce prix les suppléments qu'on est obligé de payer, on a bien vite reconnu que leurs paquebots sont bien inférieurs sous tous les rapports à nos transatlantiques.
La vie à bord d'un bateau anglais est absolument monotone; un petit salon avec un piano est fréquenté par les passagères qui y jouent une musique infernale, sans mesure et sans harmonie, qui fait réver aux orgues de barbarie et regretter les concerts improvisés dans les cours de Paris. Là, j'ai vu, ô horreur ! une jolie dame, irréprochablement mise, toute constellée de bijoux et de diamants, qui jouait du piano et s'accompagnait en sifflant. Sa bouche, très gracieuse au repos, prenait alors la forme antipoètique de cette partie de la poule estimée pas les gourmands qui l'ont baptisée l'as de pique.
Les hommes fréquentent peu le salon et vivent habituellement soit sur le pont, soit au fumoir. Là, ils jouent, fument, boivent du whisky et causent; j'y ai remarqué une sorte de loustic, sans doute quelque commis voyageur exotique, qui obtenait de grands succès de rire grâce à des facéties et des anecdotes épicées que je regrette fort de n'avoir pu comprendre. Il était aisé de voir, d'ailleurs, que nous les Français du bord, nous faisions fréquemment les frais de ses plaisanteries. Comme il comprenait le français sans vouloir le parler, je me suis permis plus d'une fois de lui lancer quelques épigrammes qui ne le faisait pas rire du tout.
J'ai parlé de la nourriture des grandes personnes, mais j'ai omis de mentionner celle qu'on donne aux enfants qui sont toujours plus ou moins nombreux à bord et a qui on fait largement payer la remise qui est faite sur le prix de leurs places.
Les Anglais élèvent leurs enfants d'une façon bien singulière et qui blesse profondément nos sentiments et notre façon de penser. Là, comme partout ailleurs, il faut regarder non à la surface mais au fond des choses; leur affection pour leurs petits est plus extérieure que réelle, et ils songent plus à paraître les aimer follement qu'à les chérir en réalité. Cela apparaît surtout quand on se donne la peine d'aller assister aux maigres repas de ces petits êtres.
Messieurs les Anglais, si prodigues quand il s'agit de couvrir leurs enfants de toutes les fanfreluches qui peuvent donner au public une haute idée de la fortune des parents, restent absolument indifférents sur la question de quantité et de qualité des mets qu'on donne.
A la maison, on les envoie diner à la cuisine avec les domestiques; à bord, les parents ne se dérangeraient pour rien au monde pour aller voir comment est traitée leur progéniture. Le maître d'hôtel en profite pour ne donner aux pauvres petites que les restes les plus indigestes de la table des grandes personnes et pour les priver absolument de toutes les petites douceurs qu'ils aiment tant: fruits, gâteaux, glaces, crèmes, etc. Les enfants, entièrement livrés à leurs bonnes, qui ne les surveillent pas le moins du monde, n'occupent en rien leurs mères qui ont assez à faire à changer quatre fois de toilette par jour, imitant d'ailleurs en cela les jeunes dandys qui ne paraissent jamais à table avec le même vêtement.
Cette grossière vanité qui fait le caractère anglais, ce mépris pour les faibles, cet amour du flafla et ce respect immense pour l'argent, se retrouvent dans leurs colonies qui ont tous les préjugés, toutes les coutumes de la mère patrie.
Là, comme à Londres, comme à Southampton, comme à bord, les gens des premières classes regardent ceux des secondes avec un souverain mépris. Les élégants et les élégantes se chargent de bagues, de bracelets, de camées, de chaînes d'or d'une façon exagérée et ridicule. Un jour, quelques jeunes gens ayant organisé un concert, des artistes placés en seconde classe offrirent leur concours désintéressé. Le capitaine, qui pourtant était un fort brave homme, se refusa nettement à les laisser pénétrer aux premières.
Partout éclate, à la Barbade et dans la Guyane anglaise, cette vanité des classes, ce mépris du riche pour le pauvre, ce respect pour tout ce qui brille, cette platitude d'esprit devant tout pouvoir supérieur ou toute situation dominante.
Pendant mon séjour à Demerara, j'eus l'honneur d'être reçu par le gouverneur, un lord anglais, parfait gentleman, qui me fit conduire en voiture par son secrétaire et voulut bien me recommander à un anglais qui remplaçait notre consul en son absence. Les journaux de la ville racontèrent cet accueil gracieux du gouverneur et à partir de ce jour tout le monde me saluait dans les rues.
Un autre jour, j'étais au jardin botanique où j'avais eu la bonne fortune de faire connaissance avec le conservateur qui est un de nos compatriotes. Ce brave homme sollicitait depuis longtemps un avancement qui lui était bien dû, mais que sa nationalité l'empêchait d'obtenir. Il était avec moi et me montrait avec la plus extrème bienveillance comment se fait la culture du café, quand le gouverneur et sa femme passèrent près de nous dans leur landau et me rendirent mon salut.
- Mille fois merci, me dit le conservateur; vous venez de me rendre le plus signalé service. Puisque monsieur le gouverneur vous a rendu votre salut et m'a vu en votre société, je suis sur d'avoir l'avancement que je sollicite en vain depuis si longtemps.
Terminons cet article déjà bien long par un fait caractéristique qui prouvera mieux qu'un long discours le mépris que les anglais professent pour les pauvres artisans et ouvriers.
Il y a à Demerara, près du port, un beau marché couvert où les paysans viennent apporter leurs produits qu'ils vendent aux nègres et aux coolies indiens occupés à la fabrication du sucre. Derrière ce marché, se trouve, dans un coin discret, un réduit que nos voisins appelent un water-closet. Ce petit monument est partagé en deux et les édiles de Demerara ont fait inscrire sur un des compartiments côté des mâles et sur l'autre côté des femelles, cela en excellent français. C'est, du reste, le seul échantillon que j'ai rencontré de notre littérature dans la Guyane anglaise.
Jules Gros.
Journal des Voyages, 3 février 1889.
Le premier soin des passagers, dont un grand nombre s'embarquait pour la première fois, fut bien naturellement de visiter la grande maison flottante où ils étaient condamnés à vivre plus ou moins longtemps entre le ciel et l'eau. Cette inspection fut à l'avantage du navire. Le Medway faisait seulement son second voyage depuis qu'il avait été remis à neuf; c'est à dire qu'il était tout reluisant de vernis et de dorures.
Les cabines de première classe où nous nous installâmes étaient étroites mais contenaient tout ce qui est indispensable aux voyageurs, toilette, table de nuit, porte-manteaux, tablettes pour y déposer les menus objets, filets semblables à ceux qu'on trouve dans les compartiments des wagons de chemins de fer. Ajoutons que ces cabines, comme tout le bateau, étaient éclairées à la lumière électrique et qu'il suffisait à chaque passager de manoeuvrer un bouton pour éclairer sa cabine ou la plonger dans l'obscurité.
Deux heures après le départ, nous étions tous fixés sur le genre de vie que nous étions appelés à mener pendant la traversée, car chacun avait pu lire le réglement à bord dont une traduction en français, affichée dans un couloir, jonglait avec une désinvolture sans pareille avec la grammaire et l'orthographe.
Certes ! si nous avons eu à maudire chaque jour l'infernale cuisine des Anglais, ce n'est ni du nombre de repas, ni de la quantité des mets que nous aurions pu nous plaindre. Dès le matin, à six heures, on servait le café et le thé au lait, avec accompagnements de petits fours, de beurre, de jambon et de confitures. Je dois dire que, vu l'heure un peu matinale de cette collation, peu de personnes y faisaient honneur.
A neuf heures, un grand déjeuner composé d'une dizaine de plats au moins, sans compter les desserts variés, attendait les passagers dans la salle à manger du bord. Puis à une heure, c'était le lunch composé de viandes froides; à six heures, le diner, repas copieux et le principal de la journée; à huit heures, le café et le thé. Il semble qu'un pareil régime soit fait pour satisfaire les estomacs les plus exigeants, et cependant, comme toute médaille, ce tableau a son revers.
Ces repas copieux et répétés se composaient invariablement de mets fades et sans saveurs: poissons et pommes de terre bouillis à l'eau sans sel et sans épices; viandes mal cuites, toujours bouillies à moitié avant d'être rôties, lègumes de conserve non moins fades que les autres mets, gâteaux et patisserie lourds et grossiers. Joignez à cela que viandes, légumes, salades étaient conservées à bord par la méthode frigorifique et que pas une fois, il nous a été donné de manger des aliments frais.
Pour mon propre compte, doué de peu d'appétit, je me serai aisemment consolé de ce régime, me rabattant sur le fromage de Chester et sur les confitures qui figuraient à peu près à chaque repas, mais ce que jamais un Français n'acceptera volontiers, c'est l'absence absolue de toute boisson autre que de l'eau claire. Ni vin, ni bière, ni cidre; pas même de thé ou de café, tel est le régime invariable des Anglais à bord, comme chez eux et dans les restaurants de Londres et dans les autres villes anglaises. Nous en fûmes ainsi réduit à payer, en dehors du prix de nos places, du vin que nous achetions à la buvette du bord à raison de trois francs la bouteille en nous contentant de la qualité la plus inférieure. Que les Anglais ne viennent pas nous vanter le bon marché de leurs transports; si vous ajoutez à ce prix les suppléments qu'on est obligé de payer, on a bien vite reconnu que leurs paquebots sont bien inférieurs sous tous les rapports à nos transatlantiques.
La vie à bord d'un bateau anglais est absolument monotone; un petit salon avec un piano est fréquenté par les passagères qui y jouent une musique infernale, sans mesure et sans harmonie, qui fait réver aux orgues de barbarie et regretter les concerts improvisés dans les cours de Paris. Là, j'ai vu, ô horreur ! une jolie dame, irréprochablement mise, toute constellée de bijoux et de diamants, qui jouait du piano et s'accompagnait en sifflant. Sa bouche, très gracieuse au repos, prenait alors la forme antipoètique de cette partie de la poule estimée pas les gourmands qui l'ont baptisée l'as de pique.
Les hommes fréquentent peu le salon et vivent habituellement soit sur le pont, soit au fumoir. Là, ils jouent, fument, boivent du whisky et causent; j'y ai remarqué une sorte de loustic, sans doute quelque commis voyageur exotique, qui obtenait de grands succès de rire grâce à des facéties et des anecdotes épicées que je regrette fort de n'avoir pu comprendre. Il était aisé de voir, d'ailleurs, que nous les Français du bord, nous faisions fréquemment les frais de ses plaisanteries. Comme il comprenait le français sans vouloir le parler, je me suis permis plus d'une fois de lui lancer quelques épigrammes qui ne le faisait pas rire du tout.
J'ai parlé de la nourriture des grandes personnes, mais j'ai omis de mentionner celle qu'on donne aux enfants qui sont toujours plus ou moins nombreux à bord et a qui on fait largement payer la remise qui est faite sur le prix de leurs places.
Les Anglais élèvent leurs enfants d'une façon bien singulière et qui blesse profondément nos sentiments et notre façon de penser. Là, comme partout ailleurs, il faut regarder non à la surface mais au fond des choses; leur affection pour leurs petits est plus extérieure que réelle, et ils songent plus à paraître les aimer follement qu'à les chérir en réalité. Cela apparaît surtout quand on se donne la peine d'aller assister aux maigres repas de ces petits êtres.
Messieurs les Anglais, si prodigues quand il s'agit de couvrir leurs enfants de toutes les fanfreluches qui peuvent donner au public une haute idée de la fortune des parents, restent absolument indifférents sur la question de quantité et de qualité des mets qu'on donne.
A la maison, on les envoie diner à la cuisine avec les domestiques; à bord, les parents ne se dérangeraient pour rien au monde pour aller voir comment est traitée leur progéniture. Le maître d'hôtel en profite pour ne donner aux pauvres petites que les restes les plus indigestes de la table des grandes personnes et pour les priver absolument de toutes les petites douceurs qu'ils aiment tant: fruits, gâteaux, glaces, crèmes, etc. Les enfants, entièrement livrés à leurs bonnes, qui ne les surveillent pas le moins du monde, n'occupent en rien leurs mères qui ont assez à faire à changer quatre fois de toilette par jour, imitant d'ailleurs en cela les jeunes dandys qui ne paraissent jamais à table avec le même vêtement.
Cette grossière vanité qui fait le caractère anglais, ce mépris pour les faibles, cet amour du flafla et ce respect immense pour l'argent, se retrouvent dans leurs colonies qui ont tous les préjugés, toutes les coutumes de la mère patrie.
Là, comme à Londres, comme à Southampton, comme à bord, les gens des premières classes regardent ceux des secondes avec un souverain mépris. Les élégants et les élégantes se chargent de bagues, de bracelets, de camées, de chaînes d'or d'une façon exagérée et ridicule. Un jour, quelques jeunes gens ayant organisé un concert, des artistes placés en seconde classe offrirent leur concours désintéressé. Le capitaine, qui pourtant était un fort brave homme, se refusa nettement à les laisser pénétrer aux premières.
Partout éclate, à la Barbade et dans la Guyane anglaise, cette vanité des classes, ce mépris du riche pour le pauvre, ce respect pour tout ce qui brille, cette platitude d'esprit devant tout pouvoir supérieur ou toute situation dominante.
Pendant mon séjour à Demerara, j'eus l'honneur d'être reçu par le gouverneur, un lord anglais, parfait gentleman, qui me fit conduire en voiture par son secrétaire et voulut bien me recommander à un anglais qui remplaçait notre consul en son absence. Les journaux de la ville racontèrent cet accueil gracieux du gouverneur et à partir de ce jour tout le monde me saluait dans les rues.
Un autre jour, j'étais au jardin botanique où j'avais eu la bonne fortune de faire connaissance avec le conservateur qui est un de nos compatriotes. Ce brave homme sollicitait depuis longtemps un avancement qui lui était bien dû, mais que sa nationalité l'empêchait d'obtenir. Il était avec moi et me montrait avec la plus extrème bienveillance comment se fait la culture du café, quand le gouverneur et sa femme passèrent près de nous dans leur landau et me rendirent mon salut.
- Mille fois merci, me dit le conservateur; vous venez de me rendre le plus signalé service. Puisque monsieur le gouverneur vous a rendu votre salut et m'a vu en votre société, je suis sur d'avoir l'avancement que je sollicite en vain depuis si longtemps.
Terminons cet article déjà bien long par un fait caractéristique qui prouvera mieux qu'un long discours le mépris que les anglais professent pour les pauvres artisans et ouvriers.
Il y a à Demerara, près du port, un beau marché couvert où les paysans viennent apporter leurs produits qu'ils vendent aux nègres et aux coolies indiens occupés à la fabrication du sucre. Derrière ce marché, se trouve, dans un coin discret, un réduit que nos voisins appelent un water-closet. Ce petit monument est partagé en deux et les édiles de Demerara ont fait inscrire sur un des compartiments côté des mâles et sur l'autre côté des femelles, cela en excellent français. C'est, du reste, le seul échantillon que j'ai rencontré de notre littérature dans la Guyane anglaise.
Jules Gros.
Journal des Voyages, 3 février 1889.
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