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vendredi 6 septembre 2013

Chronique du journal du dimanche.

Chronique du Journal du dimanche.

Presque tout le monde ignore qu'il est parmi nous des hommes qui sont réellement des tableaux, des paysages vivants. Ce sont les voleurs, qui se tatoue avec un art admirable.
On vient d'arrêter à Tulle un individu surpris dans une foire au moment où, par le vol à la tire, il venait de s'approprier la montre d'une dame. Ce personnage est âgé de trente-six ans, de haute taille, avec des cheveux, des sourcils, des yeux noirs, et l'air le plus formidable du monde. Il a constamment refusé de répondre aux questions qui lui étaient adressées sur son nom, son domicile, sa profession. Son bras, seul, l'a fait reconnaître pour être depuis longtemps attaché à la grinche. Croirait-on que ce bras porte, tatoué : Une branche de laurier, un drapeau, une figure de femme, un coeur, une ancre, un noeud d'amour et deux mains enlacées ?
Et tout cela, ce sont de tendres souvenirs de son existence passée. 

Voici du moins un de ces messieurs qui, l'autre jour, a été fort bien traité.
M. Dupuis, rentier, se rendait l'autre soir à sa maison de campagne de la Chapelle-Saint-Denis, lorsque, dans un endroit assez désert, un individu, dont la demande était accompagnée d'une lame de couteau fort brillante, l'a prié de bien vouloir lui payer une bouteille.
Une bonne canne plombée était aux mains de M. Dupuis. Le premier coup de cette canne a fait voler en l'air le couteau; les autres sont tombés si vivement sur le dos du solliciteur, qu'ils l'ont renversé à terre, d'où M. Dupuis l'a fait rouler dans un fossé, où il barbote encore, et où il peut contenter sa soif tout à son aise.
- On a beaucoup parlé dernièrement d'une jeune et belle veuve, dont le choix s'était arrêté sur un nouvel époux pendant la dernière saison des eaux.
Madame de B. avait été mariée en premières noces avec un homme très riche, mais très âgé, qui la tenait enfermée dans une petite ville de Belgique. Pour se soustraire à l'ennui qui la tuait, elle supplia son mari de la conduire aux eaux de Bade. Il refusa. La jeune femme, révoltée, s'esquiva du domaine conjugal, et arriva bientôt à Bade, où elle se logea chez une amie. A cet acte d'audace incroyable, M. de B. entra dans une telle fureur qu'il fit venir un notaire pour déshériter l'épouse fugitive. Mais la violence de sa colère avait amené une apoplexie foudroyante; lorsque le notaire arriva, il était mort.
Madame de B. était donc aux eaux, jeune, riche, et à même de faire un choix selon son coeur. Elle se jura de prendre un mari autant à son gré que l'autre lui avait été insupportable.
Ainsi, sans songer à la fortune, parmi tous les prétendants elle accorda sa main à un comte italien, qui réunissait tous les agréments de la figure, un esprit charmant, d'élégantes manières, enfin l'extérieur le plus séduisant qu'il fût possible de réver.
Il fut convenu que les fiancès passeraient en Italie le temps indispensable au deuil de la veuve, et ils partirent.
Mais à peine étaient-ils arrivés à Milan, que l'on arrêta ce jeune comte si parfait pour le réintégrer dans une maison d'aliénés, où il avait été précédemment enfermé après un jugement en bonne forme, et d'où il était sorti par évasion.
Il y eu un si étrange rapport entre la faute de madame de B. et sa punition que, selon l'opinion de quelques uns, son mari aurait envoyé contre elle cette bizarre fatalité du sein de l'autre monde.

- Du reste, comme conversation, l'éternelle thèse de la cherté des loyers ne tarit pas.
Cette désolante plaie de nos jours, la difficulté de trouver un toit pour abriter sa tête et un asile assez large pour pouvoir un peu y respirer, a des conséquences étranges, auxquelles on aurait été bien éloigné de s'attendre.
M. et madame G..., tous les deux jeunes et beaux, jouissant d'une parfaite santé, et mariés depuis trois ans, n'ont pas encore de famille.
Un ami de la maison demandait à madame G... comment il pouvait se faire qu'elle n'eût pas encore d'enfants.
- Que voulez-vous ? répondit la jeune femme en étendant la main autour d'elle, nous sommes si petitement logés.

                                                                                                            Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 14 décembre 1856.

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