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mardi 10 septembre 2013

Curiosités éthnographiques.

Les mangeurs de terre.

Qui de vous n'a pas entendu parler de bizarreries stomacales ? Ceux-ci vous raconterons qu'ils ont vu des enfants manger du sel à pleines poignées; ceux-là, des jeunes filles absorber du plâtre; les uns, des femmes boire de l'encre; les autres... quelque chose d'analogue. Au demeurant, ce sont là des dépravations du goût assez fréquentes chez les humains près d'atteindre l'adolescence, ou malheureusement dotés d'une nature maladive. Elles constituent un état temporaire ou passager, plutôt qu'un besoin constitutif et permanent. En un mot, c'est une maladie que la médecine connaît sous les noms de malacie ou de pica, suivant que les substances absorbées renferment ou non des matières alimentaires.
Toutefois, au dire de certains voyageurs, il existe, de par le monde, des peuplades entières chez lesquelles cette maladie sévit de façon constante , quels que soient l'âge ou le sexe. De plus, elle a cela de particulier que la substance absorbée est toujours de la terre. De là l'épithète de géophages, ou mangeurs de terre donnée à ces peuplades.
Les géophages se rencontrent principalement dans la zone torride. La terre qu'ils emploient, pour satisfaire leur goût étrange, est glaiseuse, jaunâtre, onctueuse au toucher et ressemble fort à l'argile dont se servent les potiers de nos contrées. Les Ottomaques, qui habitent sur les bords de l'Orénoque paraissent posséder une prédilection marquée pour ce genre de nourriture. Ils la préparent avec soin. Ce sont de véritables gourmets. La matière première, préalablement roulée en menues boulettes, est mise à sécher à l'air libre, et lorsque ces boulettes atteignent un certain degré de dureté, on les fait cuire lentement, sous la cendre, jusqu'à ce qu'elles aient acquis une teinte rougeâtre, fort appétissante, pour des géophages s'entend. Les Ottomaques, après leur repas, ingurgitent ces boulettes, en les humectant d'une quantité d'eau respectable.
De nombreux voyageurs relatent des faits semblables observés, chez les Nouveaux-Calédoniens, les nègres de la Côte de Guinée, les naturels des îles Idolos, les Toungouzes de Sibérie, les femmes de Java. D'aucuns même ajoutent qu'à Popayan et que dans d'autres villes du Pérou, la terre se vend au marché en qualité de comestible.
L'absorbtion de ces boulettes de terre cuite constitue-t-elle un acte de véritable géophagie ? N'est-elle point plutôt une manière de digestif employé à l'imitation de certains animaux qui avalent des cailloux pour mieux digérer ?
N'avons-nous pas entendu, ces dernières années, un célèbre médecin américain recommander l'ingérence du sable comme le meilleur moyen de se préserver des maux d'estomac ?
Les vrais géophages, à mon sens, sont ceux qui dévorent de la terre cuite ou incuite, à l'exclusion de tout autre alimentation. Ces gens là existent sous la zone torride, mais à l'état d'exceptions et non de peuplades. La terre d'ailleurs ne se digère point. Elle ne descend même pas dans le tube digestif. Elle reste dans l'estomac, sous forme de pelote et atteint quelquefois des proportions considérables. Les mangeurs de terre arrivent à un état de faiblesse indescriptible, à une maigreur telle que les côtes et l'épine dorsale apparaissent aussi nettement que dans un squelette. En revanche, la poitrine et le ventre se ballonnent de façon fantastique, tendant la peau à la craquer. Car les géophages boivent beaucoup et sont toujours altérés.
Aujourd'hui les régions torrides des continents sont de mieux en mieux explorées et d'après la relation de l'explorateur M. Chaffanjon, qui vient de remonter l'Orénoque jusqu'à ses sources, nous devons mettre au rang des légendes l'existence des peuplades essentiellement géophages.

                                                                                                  Frédéric Dillaye.

Journal des voyages, dimanche 3 mars 1889.

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