Paris en fleurs.
Paris est une grande coquette. Non content de se parer, en ses jardins, ses squares, il emprunte à la province et à l'étranger pour trente millions de fleurs par an.
On peut dire qu'il a "piqué" une fleuriste dans les boutiques commerçantes de chacune de ses rues, comme une maîtresse de maison éparpille ses fleurs, à travers toutes les pièces du logis qu'elle veut rendre accueillant. Il n'y a guère, il est vrai, que six cents magasins vendant des fleurs, à travers la ville. Mais les petites gens qui vivent de la rose, de la violette, du mimosa n'établissent-ils pas à tous les carrefours leur minuscule échoppe fleurie.
D'où viennent les fleurs.
Il y a trente ans, à peine, quarante maisons ne vendaient aux Parisiennes que pour un million de plantes vertes et de fleurs coupées. Ce joli commerce a fleuri et fructifié de façon à embellir les logis les plus pauvres. Jenny l'ouvrière ne se contente plus d'un petit pot de réséda. Il lui faut planter, sur son balcon, au moins un caoutchouc.
Les plantes vertes, aujourd'hui si prisées viennent de Belgique et du littoral méditerranéen. Le nord et le midi nous adressent en proportions à peu près égales, pour quatre millions de plantes et d'arbustes propres à décorer nos appartements. Et n'entre pas en ligne de compte la moisson de nos établissements horticoles voisins de Roubaix!
Un économiste, M. Ed. Payen, nous explique que les clients parisiens payent seize millions les plantes vertes vendues quatre millions aux fleuristes par les horticulteurs. Le surplus demeure entre les mains des commissionnaires et des fleuristes en boutique.
Aussi la plante verte trouve-t-elle moins d'acquéreurs que la fleur coupée, la fleur qui vaut un louis ou deux sous selon son origine.
Un parterre autour de Paris.
La fleur coupée arrive au fleuriste, soit par le producteur si ce dernier est un horticulteur des environs de Paris, soit par un commissionnaire si elle est originaire du midi (On sait que la banlieue parisienne devient chaque printemps, un parterre géant. Telles localités sont vouées à la rose , exemples: Sceaux, Fontenay, etc. , Verrières et Chevreuse se consacrent à l’œillet, Bourg-la-Reine produit la violette de Parme. Et l'on cite une petite commune voisine de Saint-Germain-en-Laye qui vend à Paris, avril venu, pour trois à quatre cent mille francs de clochette de lilas!)
Qu'elle vienne du midi ou de la région parisienne, le fleur coupée est d'abord offerte aux grands fleuristes qui prélèvent les pièces de choix. Les corolles communes vont aux Halles, empilées par botte dans les voitures des maraîchers ou délicatement couchées dans plus de neuf cent mille berceaux d'osier venus la nuit par le chemin de fer
Les fleurs riches.
Certaines espèces de roses, que l'on fait éclore en serres chauffées arrivent à Paris dès le 1er janvier. Ce sont les Ulrich-Brünner, les Paul-Neyron, les France, etc. Ces jolies filles du midi sont livrées aux grands fleuristes, à raison d'un louis la douzaine. On devine qu'elles quadruplent de valeur avant de figurer sur les grandes tables parisiennes. Parmi les fleurs de luxe qui nous viennent quand la Seine charrie des glaçons, il faut citer encore les lilas "forcés" de la banlieue, les roses de la Brie et les produits coûteux des serres anglaises: lys, muguet, orchidées et gardénias.
Les trente millions que Paris dépense annuellement pour fleurir sa boutonnière font vivre des milliers de femmes et d'enfants, mais ils sont surtout profitables aux fleuristes en boutique. Les unes, commerçantes élégantes et véritables artistes, savent encore ajouter à la grâce de leur précieuse marchandise. C'est dans le huitième arrondissement, près de la Madeleine que les fleuristes "chics" troussent le mieux un bouquet. Vers le 1er janvier, ces prêtresses du lilas blanc s'évanouissent de lassitude sur leur moisson fleurie.
Les autres, fleuristes de quartiers plus modestes, moins mondains, réalisent leurs plus importants bénéfices au printemps et en été. Saint-Jean, Saint-Louis, Sainte-Marie répandent le soir, à travers Paris, des promeneurs chargés de palmiers en pot, de rosiers maigrement fleuris et de grands cornets de papier blanc bourrés de pétales. C'est à cette catégorie de commerçants qu'appartiennent les marchands de la Cité et les concessionnaires du gracieux marché de la Madeleine, marché si apprécié des Parisiens que des fleuristes ont du attendre cinq ans pour obtenir une place.
Grands ou petits, tous ceux qui font commerce des fleurs présentent leur marchandise avec une coquetterie bien naturelle en l'espèce. Et le bouquet de violettes à deux sous est déjà un petit chef d'oeuvre de l'élégance parisienne.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 août 1903.
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