Habitations turques.
Lorsque vous parcourez la Turquie, ne vous attendez pas à y jouir, comme en Occident, de l'aspect d'une belle façade; vous n'y verrez pas une seule maison, qui justifie au dehors l'idée que vous vous faite du luxe oriental. Jamais un homme opulent, qui vit sous la loi du prophète, fut-il élevé à la dignité de grand-visir, n'a décoré l'extérieur du palais qu'il habite, et jamais à Constantinople aucun architecte n'a songé à déployer les ressources de son art pour embellir l'extérieur de la demeure d'un simple particulier.
"Au nom de Dieu clément et miséricordieux, dit le Coran, que le serviteur fidèle ne recherche pas l'élévation, la grandeur, la beauté de l'édifice, ni les richesses de l'architecture, ni les ornemens de la peinture et de la sculpture. Les productions des beaux arts ne sont réservés qu'aux temples, aux mosquées, aux hôpitaux et aux monumens publics. Croyans, vous ne bâtirez vos habitations avec du ciment et de la pierre, que jusqu'au premier étage; que le dedans comme le dehors soit d'une extrême simplicité; qu'on n'y voie ni ciselure, ni dorure; qu'on n'y étale point d'ouvrage créé par le pinceau; que tout ornement en soit banni".
Le précepte peut être bon; mais Dieu sait, et les riches mahométans savent aussi, s'il n'a pas reçu d'infraction.
Voulez-vous avoir une idée complète de la maison d'un mahométan, figurez-vous à l'extérieur un pan de muraille absolument nu; çà et là, semées au hasard, quelques petites fenêtre grillées, comme on en voit, dans les pays catholiques, aux couvens des femmes; et puis au-dessus de la porte un shah-nishin lugubre, espèce de balcon entièrement recouvert d'un treillage en fer. Ne cherchez pas un signe distinctif qui puisse au besoin vous faire reconnaître la maison que vous examinez; vous ne verrez sur la porte ni armoiries, ni inscriptions, pas même de numéro; le rez-de-chaussée est bâti en pierre et en brique; mais par respect pour le Coran, le haut de la maison, depuis le premier étage, est en bois, ce qui explique les nombreux incendies dont les villes turques sont si souvent le théâtre. Le plus léger accident, un fourneau renversé, l'étincelle qui s'échappe d'une pipe, suffisent pour réduire tout un quartier de Constantinople en cendres. Quoi qu'il en soit, malgré le prophète et le Coran, l'intérieur de l'habitation d'une personne aisée ne répond pas à la simplicité de la façade, ni à la sombre structure de la porte d'entrée. L'homme riche, qui dans l'Occident ne craint point d'étaler son opulence, se cache au contraire en Turquie, quand il veut jouir de ses trésors; pour ne pas éveiller l’œil jaloux du despote qui gouverne, il se soustrait à ses yeux, et élève un mur impénétrable.
La cour intérieure est vaste, spacieuse et pavée en marbre très recherché. Si le temps est beau, on la couvre en entier de tapis précieux; tout autour règnent des terrasses, des parterres émaillés de fleurs, et de magnifiques galeries soutenues par d'élégantes colonelles. Chaque arceau, chaque travée est enrichie d'arabesques capricieux; au milieu de l'enceinte, s'élève, sur des piliers de marbre, la fontaine qui fournit de l'eau pour les ablutions; quelques arbres hauts et touffus l'ombragent de leurs larges feuilles. Plus que partout ailleurs, l'eau en Turquie est une des choses les plus indispensables aux habitans; car il faut de l'eau pour se laver avant et après la prière; il faut de l'eau pour se purifier des péchés que l'on vient de commettre; il faut enfin de l'eau pour boire, puisque la loi défend les liqueurs fermentées; aussi les gens riches multiplient-ils les fontaines et les jets d'eau; ils ne croiraient pas avoir embelli leur maison de campagne, si, à côté de chaque kiosque, ils n'élevaient une fontaine; l'enfant de Mahomet, quel qu'il soit, a droit de s'y laver; refuser de l'eau à un croyant, ce serait encourir toute la sévérité des lois.
Le rez-de-chaussée n'est ordinairement occupé que par les esclaves, les domestiques et les officiers de la maison. Un grand escalier de bois conduit au divan-khane; vous voici dans un long corridor qui mène aux appartements des hommes, et qui se prolonge sur trois côtés de la cour. A chaque angle s'élèvent des kiosques richement décorés, couverts d'arabesques, de guirlandes, de fruits, de fleurs, de paysages. C'est dans ces élégans pavillons qu'attendent, la pipe à la bouche, les officiers de service ou les personnes qui demandent audience; le corps de bâtiment est divisé en deux parties: l'une sert au maître, à ses enfans, aux domestiques, aux étrangers qui viennent le voir; c'est le salem-lit; l'autre destinée aux femmes, et accessible à lui seul, prison consacrée par la religion à l'esclavage de ses compagnes, c'est le harem: dans le salem-lit, les appartemens sont spacieux, mais peu élevés; vous n'y trouverez d'autres meubles que des sofas et des tapis. Les murailles n'y sont peintes que d'une seule couleur; sur le haut de la porte est gravé en lettres d'or un passage du Coran, et tout autour les noms sacrés de Dieu et du prophète.
De belles tapisseries, des tableaux précieux, des gravures rares, n'ornent jamais la maison d'un osmanli; dans les appartemens, vous n'apercevrez pas une seule chaise, et les glaces y sont très peu prodiguées; mais aussi partout vous y trouverez le long et monotone divan qui sert à des usages si divers: le divan vous prête un appui pendant le repas, il soutient votre tête pesante et paresseuse, lorsque, couché sur le tapis, vous vous laissez aller à un doux repos, et la nuit c'est encore le divan qui vous sert de lit; alors on l'entoure de franges, on le pare des étoffes les plus précieuses, ou on le revêt des plus riches tapis. C'est dans la salle du divan qu'on déploie les rideaux les plus somptueux, que l'on décore les fenêtres avec le plus de soin, que l'on obtient l'obscurité la plus profonde ou le jour le plus éclatant; c'est là qu'en été on ménage les courants d'air les plus agréables, le frais le plus délicieux. "Les lambris, dit un voyageur, jouent aussi un grand rôle dans la demeure des osmanlis; ils en ornent leurs plus beaux appartemens. J'ai vu des lambris qui avaient coûté des sommes considérables; ils étaient d'une richesse, d'une délicatesse que rien ne peut égaler. J'en ai vu un, entre autres, d'une exécution si parfaite qu'il représentait, en mosaïque, et avec tout le fini du pinceau le plus exercé, des arabesques et des dessins d'un goût exquis. Je ne sais si nos artistes les plus habiles arriveront jamais à ce degré de perfection; je doute que jamais un Européen parvienne à combiner avec autant de bonheur, les diverses couleurs dont on peint en Turquie les corbeilles de fleurs et les bouquets.
Je ne parlerai pas des riches tapis dont on fait en orient un si grand usage; on les connait assez en Europe, et ce serait peine inutile que d'en donner une description. Les Turcs en général font très peu de cas de ceux que l'on fabrique à Smyrne, dans l'Asie-Mineure, à Salonique, quoiqu'ils soient très recherchés en Europe, et aux Etats-Unis. Ils préfèrent les tapis de Perse, de Syrie et d'Egypte, qu'ils trouvent d'une qualité supérieure et mieux travaillés.
Tels sont les principaux traits que peuvent donner une idée des maisons particulières, dans les contrées musulmanes, où tout le monde est obligé de bâtir de la même manière. Là le Grec, l'Arménien et le Juif sont soumis sous ce rapport à la loi du prophète; le chrétien bâtit sa maison selon la loi du Coran, car on ne lui fait pas grâce de l'amende s'il s'avisait de la transgresser. Le minav-aga, à qui est confié la surveillance des constructions à Constantinople, est un homme pieux et sévère qui n'entend point raillerie; aussi je ne conseillerai jamais à un Européen établi en Turquie de se mettre en opposition avec la loi bizarre de Mahomet, et surtout avec son fils bien aimé l'intendant des architectes de la capitale et de tout l'empire."
Magasin universel, novembre 1834.
Le rez-de-chaussée n'est ordinairement occupé que par les esclaves, les domestiques et les officiers de la maison. Un grand escalier de bois conduit au divan-khane; vous voici dans un long corridor qui mène aux appartements des hommes, et qui se prolonge sur trois côtés de la cour. A chaque angle s'élèvent des kiosques richement décorés, couverts d'arabesques, de guirlandes, de fruits, de fleurs, de paysages. C'est dans ces élégans pavillons qu'attendent, la pipe à la bouche, les officiers de service ou les personnes qui demandent audience; le corps de bâtiment est divisé en deux parties: l'une sert au maître, à ses enfans, aux domestiques, aux étrangers qui viennent le voir; c'est le salem-lit; l'autre destinée aux femmes, et accessible à lui seul, prison consacrée par la religion à l'esclavage de ses compagnes, c'est le harem: dans le salem-lit, les appartemens sont spacieux, mais peu élevés; vous n'y trouverez d'autres meubles que des sofas et des tapis. Les murailles n'y sont peintes que d'une seule couleur; sur le haut de la porte est gravé en lettres d'or un passage du Coran, et tout autour les noms sacrés de Dieu et du prophète.
De belles tapisseries, des tableaux précieux, des gravures rares, n'ornent jamais la maison d'un osmanli; dans les appartemens, vous n'apercevrez pas une seule chaise, et les glaces y sont très peu prodiguées; mais aussi partout vous y trouverez le long et monotone divan qui sert à des usages si divers: le divan vous prête un appui pendant le repas, il soutient votre tête pesante et paresseuse, lorsque, couché sur le tapis, vous vous laissez aller à un doux repos, et la nuit c'est encore le divan qui vous sert de lit; alors on l'entoure de franges, on le pare des étoffes les plus précieuses, ou on le revêt des plus riches tapis. C'est dans la salle du divan qu'on déploie les rideaux les plus somptueux, que l'on décore les fenêtres avec le plus de soin, que l'on obtient l'obscurité la plus profonde ou le jour le plus éclatant; c'est là qu'en été on ménage les courants d'air les plus agréables, le frais le plus délicieux. "Les lambris, dit un voyageur, jouent aussi un grand rôle dans la demeure des osmanlis; ils en ornent leurs plus beaux appartemens. J'ai vu des lambris qui avaient coûté des sommes considérables; ils étaient d'une richesse, d'une délicatesse que rien ne peut égaler. J'en ai vu un, entre autres, d'une exécution si parfaite qu'il représentait, en mosaïque, et avec tout le fini du pinceau le plus exercé, des arabesques et des dessins d'un goût exquis. Je ne sais si nos artistes les plus habiles arriveront jamais à ce degré de perfection; je doute que jamais un Européen parvienne à combiner avec autant de bonheur, les diverses couleurs dont on peint en Turquie les corbeilles de fleurs et les bouquets.
Je ne parlerai pas des riches tapis dont on fait en orient un si grand usage; on les connait assez en Europe, et ce serait peine inutile que d'en donner une description. Les Turcs en général font très peu de cas de ceux que l'on fabrique à Smyrne, dans l'Asie-Mineure, à Salonique, quoiqu'ils soient très recherchés en Europe, et aux Etats-Unis. Ils préfèrent les tapis de Perse, de Syrie et d'Egypte, qu'ils trouvent d'une qualité supérieure et mieux travaillés.
Tels sont les principaux traits que peuvent donner une idée des maisons particulières, dans les contrées musulmanes, où tout le monde est obligé de bâtir de la même manière. Là le Grec, l'Arménien et le Juif sont soumis sous ce rapport à la loi du prophète; le chrétien bâtit sa maison selon la loi du Coran, car on ne lui fait pas grâce de l'amende s'il s'avisait de la transgresser. Le minav-aga, à qui est confié la surveillance des constructions à Constantinople, est un homme pieux et sévère qui n'entend point raillerie; aussi je ne conseillerai jamais à un Européen établi en Turquie de se mettre en opposition avec la loi bizarre de Mahomet, et surtout avec son fils bien aimé l'intendant des architectes de la capitale et de tout l'empire."
Magasin universel, novembre 1834.
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