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dimanche 21 décembre 2014

Mœurs des Suédois.

Mœurs des Suédois.


La contrée la plus curieuse  à observer de toute la Suède, c'est la Dalécarlie, pays sauvage où peu de voyageurs pénètrent, et que les Suédois eux-mêmes connaissent mal. Un caractère franc, hardi, énergique, une force athlétique, un grand respect pour la loi et le magistrat, respect qui n'est mêlé d'aucune servilité, distinguent le Dalécarlien. Lorsqu'un gouverneur passe, tous les habitans des villages qui connaissent les endroits qu'il doit traverser la nuit, ont soin d'éclairer sa route avec des torches allumées; cependant leur esprit d'indépendance est extrême. Ils sont industrieux et la plupart des villages de la Dalécarlie possèdent quelque genre d'industrie qui est propre à chacun d'eux. 
Ainsi les paysans de Mora et Dornoes, fabriquent de jolies pendules; ceux d'Hémora sont célèbres pour leurs ustensiles en fer; ceux d'Elfdal exportent d'excellens peignes à tisser. Quoiqu'une population trop abondante occupe un espace de terrain aride, qui souvent se refuse à donner les produits nécessaires, l'économie laborieuse de ce peuple et sa frugalité le soutiennent au milieu des rigueurs du climat.
Aucun paysan Dalécarlien n'a recours au cordonnier, au tailleur ou au maçon; chacun fabrique de ses mains tout ce qui lui est nécessaire, et, cependant, quand la saison est mauvaise, quand arrivent les jours de disette, le paysan est obligé de pétrir et de broyer l'écorce d'arbre à laquelle il mêle un peu de farine, et qui compose son pain. On cite des traits charmans d'hospitalités qui n'appartiennent qu'aux peuples primitifs. Un Dalécarlien qui sort de sa cabane pour aller aux champs, pose, sur une tablette placée au-dessus de la porte, la clef de son garde-manger, afin que le voyageur puisse, pendant l'absence du maître, trouver les alimens qui lui sont nécessaires.
Ce peuple singulier se distingue par une physionomie spéciale, par un costume brillant et bizarre qui n'a pas changé depuis cinq siècles, et par un attachement aux vieilles mœurs qui ne se retrouve dans aucun pays d'Europe: il parle encore le vieux scandinave, la langue des Russes. Il y a beaucoup de paroisses où les mœurs primitives se sont conservées dans toute leur pureté; ainsi dans le village de Mora, les jeunes gens et les jeunes filles se rassemblent deux fois par semaine dans une grange, sans que les parens assistent à cette soirée; des morceaux de sapin résineux éclairent le salon rustique; les jeunes filles tricotent et tissent pendant que les jeunes gens causent, et la réunion se prolonge très-avant dans la nuit. On assure que les ménages dalécarliens sont excellens, et que cette liberté des mœurs en protège la pureté.
En 1715, les habitans d'une des parties les plus sauvages et les plus stériles de la Dalécarlie, de la paroisse d'Elfdal, ont découvert une source, non de richesse, mais d'aisance; les pauvres gens que leurs nuits froides, leur sol pauvre, leurs rochers sans terres végétales exposaient si souvent à la famine, et qui dépouillèrent leurs arbres de leur écorce pour nourrir leurs femmes et leurs enfans, ont enfin trouvé une mine de porphyre dont les produits magnifiques sont exportés dans toute l'Europe, et mériteraient d'obtenir une circulation plus étendue. Les laiteries, les pharmacies, les fabriques d'horloges et de pendules devraient employer plus fréquemment cette matière dont la dureté résiste aux liqueurs les plus corrosives, tandis que le marbre se laisse entamer, non seulement par le vinaigre, mais par le lait. Les pilons des pharmaciens, leurs mortiers, les dessus de tables et de cheminées, gagneraient beaucoup à ce que l'on fit usage de cette pierre si brillante à l’œil, si belle par son poli et ses vives arêtes, si forte contre l'action du temps.
Les crimes contre la vie des hommes sont presque inconnus en Suède, et la vue d'une paire de pistolets, instrumens que presque tous les voyageurs d'Europe regarderaient comme indispensables, porterait la terreur dans un village. Cependant le Suédois est naturellement brave, il est poli quoique rustique, il s'étonne beaucoup des manières anglaises, qui, depuis environ cinquante ans, se sont empreintes, comme on le sait, de morgue, de froideur et de dureté. Un voyageur anglais qui entre dans un lieu public sans se découvrir, est regardé comme une espèce d'animal farouche qui n'est point fait pour la société. La lenteur naturelle des Suédois s’accommode très bien de cette grave politesse et de ce sang-froid qui ne les quitte jamais. La douceur des jurons et des malédictions en usage dans le peuple, contraste étrangement avec l'énergie et l'impureté des malédictions dont les autres peuples sont prodigues. A mesure que l'on s'avance vers me midi, l'impiété, la colère, le cynisme, marquent ces expressions d'un sceau de violence et de fureur souvent révoltant; un Anglais appelle le feu du ciel sur vos yeux, sur vos jambes, sur votre corps, sur votre âme; un Italien vous interpelle en terme de débauche et d'impiété. Le plus gros juron qu'un Suédois puisse prononcer, c'est tusandjeflar (mille diables) ; des mœurs paisibles, un grand amour de la vie de famille, peu de fêtes bruyantes, peu de galanterie, des rapports sociaux qui n'ont ni cette activité, cet éclat, cette étourderie de l'ancienne France, ni cette ostentation, cette étiquette pompeuse, et cette vaniteuse prétention de l'Angleterre; tels sont les signes spéciaux d'une civilisation très-paisible, et qui, si elle n'est pas agitée par le génie dramatique des passions, offre du moins beaucoup de chances pour le bien-être et le bonheur.
Les femmes, dès leur jeunesse, sont employées comme facteur de postes, commissionnaires, postillons, garçons de café, garçons de bains. Vous arrivez à minuit à un relais: une jeune personne blonde, de la plus jolie figure, très-légèrement vêtue, et qui a rattaché son jupon à la hâte, vient se placer à vos côtés dans la voiture, prend les rênes, dirige les chevaux, et s'enfonce avec vous dans les forêts les plus solitaires.
Une grande réserve, et une douceur constante, caractérisent les dames de la bourgeoisie et des classes supérieures; de toutes les femmes du nord, ce sont celles qui possèdent les plus d'attraits et de grâces. Sveltes et légères, elles n'ont rien de ces formes massives et épaisses, que l'on trouve souvent dans les contrées septentrionales, leur taille est mince, leur chevelure magnifique et blonde; leur teint éclatant, et leur tournure d'une élégance qui rappelle celle des polonaises; ajoutons que les femmes du peuple sont en général plus jolies encore que les dames et les bourgeoises.
L'art gastronomique, sans avoir atteint en Suède une haute perfection, y est du moins très-honoré, comme dans la plupart des pays du nord; avant de se mettre à table, on va chercher sur un petit buffet, couvert de nappes blanches, un petit repas préparatoire composé de hors-d’œuvres, d'anchois, de radis, de caviar; préface toujours accompagné de quelques verres de cognac ou de rhum. Le dîner est composé d'une manière qui semblera fort originale aux étrangers: le potage, qui se compose tout simplement d'eau chaude dans laquelle la viande a bouilli, paraît non au commencement, mais au milieu du festin; on y voit nager des feuilles de fenouil et du raisin de corinthe; ensuite défile une longue suite de mets qui tous sont accommodés au sucre; on met du sucre dans le potage, dans la bière, dans la salade; on le mêle au poivre, au vinaigre, aux sauces les plus épicées; enfin l'Européen méridional, qui voit au milieu de la table le sucrier en permanence et dans lequel on puise continuellement, regrette, je vous assure, de tout son cœur, les dîners de Paris et de Londres.
La vie des Suédois semble partagée en stations gastronomiques. A votre réveil, vous trouvez sur votre lit une petite table qui supporte du café, du beurre et du pain; à onze heures, on déjeune avec des tartines de beurre, du jambon, du poisson salé et de l'eau-de-vie; on dîne à deux heures; à quatre heures, on sert du café; à six heures, vient le goûter, espèce de collation légère; enfin, à neuf heure, on soupe, et presque toujours le mets principal de ce dernier repas est un mélange de lait, de bière et de sirop, qui ne ressemble à rien de ce qui se mange ou se boit dans nos contrées. L'habitude des toasts s'est conservée en Suède dans sa simplicité patriarcale; toute les fois qu'un convié boit à votre santé, il est absolument nécessaire que vous vidiez votre coupe jusqu'au fond. Aussi comme le disait le jeune Hamlet: "Supposez que vingt convives renouvellent la même politesse, à moins d'être très-exercé à cet usage, vous vous trouverez très-embarrassé, d'autant plus que les verres des Suédois sont larges et profonds." Souvent, dans les classes bourgeoises, on pratique l'ancienne coutume, qui ordonne à chaque convive de baiser la main de la dame placée près de lui.

Magasin universel, octobre 1834.

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