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jeudi 4 décembre 2014

Péronne.

Péronne.
Louis XI prisonnier de Charles-le-Téméraire.


La ville de Péronne, bâtie sur un monticule, et défendue par des fortifications importantes, serait une des plus fortes places de France, si elle était dominée par des hauteurs: toutefois, , malgré ce désavantage, elle a toujours su repousser victorieusement les attaques ennemies, et peut se glorifier, à juste titre, de n'avoir jamais été prise. Parmi les sièges qu'elle eut à soutenir, on cite celui de 1336: elle avait alors à lutter contre une armée nombreuse et aguerrie, commandée par Henri de Nassau: mais elle se défendit avec le plus héroïque courage, et força ce prince à lever le siège, après avoir essuyé de terribles échecs.
La plupart des maisons de cette ville sont construites en briques, de même que ses remparts, qui offrent de jolies promenades, ombragées par de beaux arbres, et embellies encore par le cours de la Somme.
Divisée en haute et basse ville, et précédée de deux faubourgs, Péronne renferme quelques belles rues, une place assez remarquable, et plusieurs églises curieuses. 


Sa population s'élève à près de quatre mille habitans, dont le principal commerce consiste dans la fabrication des tissus de fil et de coton.
Péronne est la patrie du savant orientaliste Langlés.
Mais cette ville est surtout intéressante par ses souvenirs historiques. Elle fut le théâtre d'un des événemens les plus importans qui aient marqué le règne de Louis XI. Le lecteur sait les luttes continuelles que ce prince entretint contre les seigneurs féodaux de son royaume et principalement contre le plus puissant et le plus redoutable d'entre eux, Charles-le-Téméraire, duc de Bourgogne. C'était surtout en divisant ses ennemis que le roi espérait en triompher: cette tactique lui avait plusieurs fois réussi. A forces de tromperies et de ruses, il en était venu au point de détacher de Charles, ses alliés même les plus fidèles; aussi ne doutait-il pas que le moment fût favorable pour traiter avantageusement avec le duc de Bourgogne. Mais pendant qu'il entamait des négociations avec lui, il entretenait toujours de secrètes intelligences avec les Liègeois, qu'il excitait à la révolte pour augmenter les embarras de Charles.
Afin de mieux abuser le duc par une apparente bonne foi, il lui fit proposer une entrevue à Péronne. Après quelques hésitations, le duc de Bourgogne, qui occupait avec son armée les environs de cette ville, consentit à cette entrevue, et envoya au roi un sauf-conduit ainsi conçu:

"Monseigneur, très humblement à votre bonne grâce, je me recommande, si votre plaisir est de venir en cette ville de Péronne pour nous entrevoir, je vous jure et je vous promets par ma foi et sur mon honneur, que vous y pouvez venir, demeurer, séjourner, et vous en retourner sûrement, à votre bon plaisir, toutes les fois qu'il vous plaira, franchement et quittement, sans qu'aucun empêchement soit donné à vous, ni à nul de vos gens, par moi ni par d'autres, pour quelque cas qui soit et qui puisse advenir. En témoignage de ce, j'ai écrit et signé cette cédule de ma main, en la ville de Péronne, le huitième jour d'octobre, l'an mil quatre cent soixante huit.
                             
                                                 Votre très humble et très obéissant sujet.

                                                                                        Charles."

Le roi partit presque aussitôt en assez petit cortège, n'emmenant avec lui que le connétable, le cardinal Balue, le duc de Bourbon, le sire de Beaujeu, l'archevêque de Lyon, et l'évêque d'Avranches, son confesseur; sa garde se composait seulement de quatre-vingt Écossais et d'une soixantaine de cavaliers, tant il voulait montrer au duc une parfaite confiance. Les archers de Bourgogne, commandés par Philippe de Crèvecœur, allèrent à sa rencontre: le duc vint lui-même hors de la ville jusqu'à la petite rivière de Doing. Le roi l'embrassa et lui fit accueil. Chacun se réjouissait de les voir si bons amis. Ils entrèrent ensemble dans Péronne, causant familièrement, et le roi appuyant sa main, en signe d'amitié, sur l'épaule du duc. Louis XI prit son logement au château, avec une douzaine de personnes, composant toute sa maison.
Dès le lendemain, les pourparlers commencèrent entre les conseillers des deux princes, et, en leur présence; mais la discussion d'intérêts opposés ne tarda pas à changer les bonnes dispositions qu'on avait manifestées d'abord de part et d'autre. Les esprits commençaient à s'aigrir, lorsque arrivèrent des nouvelles de Liège, qui excitèrent un grand émoi. Les Liègeois, disait-on, avaient repris les armes, et au nombre de deux mille, étaient allés à Tongres, où s'était réfugié leur évêque et le sire d'Himbercourt, qui une fois déjà les avait fait rentrer dans le devoir. Les révoltés, après avoir surpris la ville, les avaient emmenés prisonniers, et on ne doutait pas qu'ils ne les eussent ensuite mis à mort.
On peut juger de la fureur du duc, qui devina à l'instant quel pouvait être l'instigateur de ces désordres.
"Il est donc vrai, s'écria-t-il, que le roi n'est venu ici que pour me tromper et m'empêcher de me tenir sur mes gardes! c'est lui, qui par ses émissaires, a excité ces mauvais et cruels gens de Liège; mais par Saint-Georges, ils en seront durement punis, et il y aura sujet de s'en repentir."
Aussitôt, il ordonna que les portes de la ville et du château fussent fermées et gardées par ses archers. Pendant ce temps, le roi, à qui l'on avait rapporté les nouvelles de Liège et les paroles furieuses du duc, ne se voyait pas sans crainte enfermé dans l'étroite enceinte du château, tout auprès de cette grosse tour, où jadis Herbert, comte de Vermandois, avait tenu prisonnier et fait périr son roi, Charles-le-Simple; un tel souvenir était effrayant dans une circonstance si critique. Toutefois, il ne se troubla point et ne songea qu'aux moyens de se tirer d'un si mauvais pas, employant les promesses les plus brillantes, et répandant l'or à pleines mains, pour gagner les serviteurs du duc.
Quand Charles fut un peu plus calme, il assembla son conseil. On discuta avec chaleur: les ennemis du roi, et particulièrement le maréchal de Bourgogne, l'emportèrent d'abord: c'en était fait de la vie et de la couronne de Louis XI; mais des conseillers plus sages firent changer ces résolutions hostiles. D'ailleurs les nouvelles de Liège étaient moins terribles que ne les avaient faites les bruits populaires. L'évêque avait été conduit avec une sorte d'égard dans son palais; le sire d'Himbercourt avait été mis en liberté, et chargé par le peuple d'apaiser le duc de Bourgogne: Jean de Wilde, que les révoltés avaient pris pour chef, avait réussi à les modérer et à leur faire écouter la raison.
On arrêta que des commissaires seraient nommés par le roi et le duc pour conclure un traité entr'eux; mais il est inutile de dire que les conditions devaient en être onéreuses pour Louis XI. Toutes les difficultés qui les avaient si long-temps divisés se trouvaient résolues en faveur de la Bourgogne; tout ce qui faisait l'espérance du roi était abandonné en un jour. Vainement les commissaires de France présentaient quelques objections; on leur répétait: "Il le faut, monseigneur le veut."
Quand le projet de traité fut fait, le duc alla trouver le roi prisonnier. Il s'efforça de lui montrer une courtoisie humble et respectueuse; mais sa voix, tremblante de colère, ses gestes brusques et menaçans démentaient ses paroles:
"Mon frère, lui dit le roi un peu ému, ne suis-je donc pas en sûreté dans votre maison et votre pays?
- Oui, monsieur, répondit le duc, et si sûr que, si je voyais un trait d'arbalète venir vers vous, je me mettrais devant pour vous garantir. Mais ne voulez-vous pas jurer le traité tel qu'il a été écrit?
- Oui, dit le roi, et je vous remercie de votre bon vouloir.
- Et ne voulez-vous point venir avec moi à Liège pour m'aider à punir la trahison que m'ont faite ces Liégeois, à cause de vous et de votre voyage ici?
- Oui, Pâques-Dieu, et je suis fort émerveillé de leur méchanceté; mais commençons par jurer le traité; puis je partirai avec autant ou aussi peu de mes gens que vous le voudrez."
Alors on tira des coffres du roi le bois de la vraie croix, que l'on nommait la croix de Saint-Laud. Suivant ce qu'on racontait, elle avait jadis appartenu à Charlemagne, et se nommait alors la croix de victoire. Nulle relique n'était autant adorée par le roi, et il croyait qu'on ne pouvait manquer au serment juré sur ce bois vénérable sans mourir dans l'année. Il n'y eut sorte de promesses et d'assurances qu'il ne s'empressât de faire à son beau-frère de Bourgogne, qui fit aussi son serment.
Ainsi fut signé à Péronne ce fameux traité de 1468.
Cet épisode de notre histoire a fourni au célèbre Walter Scott le sujet de Quentin Durward, l'un de ses romans les plus intéressants; il a aussi inspiré un auteur dramatique, qui a su le reproduire avec assez de bonheur sur notre scène française.

Magasin universel, 1834.

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