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mercredi 17 décembre 2014

La fête des Rois.

La fête des Rois.

Le dessin que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs est une copie de l'un des tableaux du Musée du Louvre. Ce tableau est dû au pinceau de Jacques Jordaens, célèbre peintre de l'école flamande, qui naquit à Anvers en 1594, et suivit quelques temps les leçons de Rubens, dont il a imité parfois la manière, à tel point qu'on a souvent attribué à ce dernier une des plus belles composition de Jordaens, représentant Jésus-Christ au milieu des docteurs.
Les œuvres de Jordaens sont remarquables par une grande vigueur de coloris et une entente parfaite de ce que les hommes de l'art appellent le clair-obscur. Cet artiste travaillait avec une prodigieuse facilité; et, s'il faut en croire les biographes, il acheva en six jours un tableau de grande dimension représentant la nymphe Syrinx, transformée en roseau au moment où elle va être atteinte par le dieu Pan qui la poursuit.


Nos lecteurs auront deviné sans doute au premier coup d’œil le sujet du tableau, que reproduit notre dessin, alors même que le titre de cet article ne le leur eût pas indiqué. Nous n'imiteront pas certains auteurs qui ont cru nécessaire de désigner le rôle et le rang de chacun des personnages de cette scène; quelle est la maîtresse de maison, le domestique, le roi, etc.? C'est ce que disent assez le caractère et l'attitude de chacune des figures.
Il n'est pas besoin de citer le fait religieux qu'est destiné à rappeler à tous les chrétiens la fête des Rois ou des mages. Nous dirons simplement que des savans, considérant la coïncidence presque exacte, quant à l'époque de l'année, de cette fête et des anciennes saturnales chez les Romains, et croyant retrouver dans la royauté improvisée de ce jour la domination momentanée des esclaves au milieu des fêtes de Saturne, ont dit que notre fête des Rois n'était qu'une continuation des saturnales, comme ils ont prétendu retrouver presque tous les détails des cérémonies païennes dans les faits de notre religion. Plusieurs auteurs chrétiens même, ont cru devoir s'élever contre le paganisme du roi boit, et contre la profanation de l’Épiphanie par ce mélange des souvenirs religieux et des débauches des Romains.
Pour comprendre la pieuse indignation de ces écrivains, il faut se rappeler que la fête des Rois a été long-temps célébrée dans les diverses contrées de l'Europe par des festins bien autrement somptueux que les modestes repas dans lesquels nous la commémorons aujourd'hui.
Il paraîtrait que, non-seulement dans les réunions d'écoliers et dans le peuple, mais dans la bourgeoisie et même à la cour, c'étaient à cette époque des excès de table que la faiblesse des estomacs d'aujourd'hui auraient peine à supporter, et que bien souvent la licence la plus complète présidait à ces nocturnes orgies. Chez le peuple, le Roi choisissait un fou parmi les convives; ce personnage était chargé d'entretenir par ses gestes et ses paroles la bruyante hilarité du festin; tous les frais étaient payés par ce roi d'un moment, dût-on le dépouiller de son dernier sou pour subvenir à une dépense le plus souvent hors de proportion avec le modique avoir de cette classe de convives.
Alors, comme aujourd'hui, le roi désigné par le sort dans les familles aisées, devait, non payer l'écot du repas, mais réunir, à ses frais, ses sujets dans quelque nouvelle partie de plaisir.
Avant la révolution de 1789, la fête des Rois vit souvent à la cour de France le prince se mêler à ses courtisans dans un joyeux repas. Mais après la restauration, c'était exclusivement en famille que l'on partageait aux Tuileries le gâteau d'où devait sortir l'éphémère royauté.
A une époque beaucoup plus reculée, les souverains d'Angleterre admettaient au repas des Rois jusqu'aux simples ménestrels; et nous voyons que ce fut à l'un d'eux qu'échut un jour, sous le règne d'Edouard III, la royauté de la fève.
Dans le midi de l'Angleterre, la désignation par le sort d'un roi et d'une reine était suivie de la distribution des emplois des ministres, écuyers, dames d'honneur, dont s'entouraient les nouveaux princes. Les titres de ces dignités étaient tirés au sort parmi les billets placés dans deux bols, destinés à chacun des deux sexes.
Il serait trop long d'énumérer toutes les particularités de ces fêtes, telles que les célébraient nos pères; mais nous ne saurions passer sous silence une circonstance touchante de ces réunions de famille. Après avoir tiré d'abord et mis de côté, pour être données aux pauvres, la part de Dieu, et celle de la Vierge Marie, quelquefois aussi celles des Mages, on réservait de même les parts pour les membres absens de la famille; ainsi nous avons vu plus d'une fois une mère tirer avec tristesse la part du conscrit absent, la conserver avec un soin religieux auquel se mêlait souvent une aveugle superstition; car dans plus d'un village, les paysans examinent de temps à autre l'état de ce fragment de gâteau, et croient lire dans les altérations que lui fait subir le temps une indication de la position plus ou moins critique de leur fils éloigné de la maison paternelle.

Magasin universel, février 1835.

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