Les chasseurs de tête à Formose.
La récente convention franco-japonaise, réglant tant de points politiques en Extrême-Orient, a remis en lumière l'importance stratégique de l'île de Formose sur laquelle les renseignements ci-après peuvent sembler d'actualité.
Jusqu'au XIVe siècle, Formose n'était habitée que par une population de race malaise dont l'existence est mentionnée plusieurs fois par les historiens chinois de cette époque. Ceux-ci racontent comment les habitants de l'île traversèrent souvent, sur de grossiers radeaux, le dangereux détroit pour attaquer les riverains de la province de Fokien, afin de se procurer du butin, notamment des clous et des objets en fer. A cette époque, des pirates chinois et japonais, frappés de la situation avantageuse de Formose au point de vue stratégique, y établirent leurs repaires.
Lors de l'invasion tartare, de nombreux partisans de la dynastie des Mings suivirent cet exemple et, à partir du commencement du XVIIIe siècle, l'émigration des Célestes à Formose n'a guère été interrompue. Les aborigènes tentèrent de leur résister, mais furent peu à peu obligés de céder du terrain et se trouvent aujourd'hui refoulés dans la région montagneuse et inexplorée de l'est, qui couvre la moitié environ de la surface totale de l'île.
Ces autochtones forment un grand nombre de tribus que les japonais ont classés en sept groupe principaux: Atayal, Vonum, Tsou, Tsalisen, Païwan, Puyuma, Amis. Quatre de ces groupes, les Amis, les Puyuma, les Tsou et les Païwan, sont inoffensifs et ne s'attaquent plus à la population jaune. Les Vonum et les Tsalisen, plus voisins des districts chinois, se bornent à se combattre entre eux; mais les Atayal, qui à eux seuls occupent la moitié de toute la région aborigène, ne cessent de se livrer à des incursions contre les habitants des environs, et constituent un péril constant pour les nombreux ouvriers qui récoltent et distillent le camphre dans les forêts voisines de la frontière.
Les Atayal s'étendent sur deux versants de la chaîne médiane, depuis la province de Giran au nord jusqu'au centre de l'île, à hauteur du 24 e degré de latitude qui marque la séparation entre eux et le groupe des Vonum. Ils vivent dans des villages formés de quelques huttes, construites en bambou; le sol est creusé sous ces abris jusqu'à une profondeur de 2 m. environ. leurs dépôts de vivres, au contraire sont bâtis sur pilotis afin de préserver les récoltes contre les rats et autres rongeurs très nombreux dans ces parages. Dans les agglomérations les plus importantes une case spéciale est réservée pour les conseils de la tribu. C'est là que les guerriers se réunissent avant d'entreprendre leurs expéditions de chasse et de guerre. A ces expéditions se limite l'activité des Atayal, qui méprisent le travail manuel et laissent aux femmes le soin de cultiver le millet et les patates pour leur nourriture, ainsi que la ramie qu'ils emploient pour tisser des espèces de tuniques sans manches. Ce vêtement constitue tout l'habillement des individus des deux sexes. Les hommes se couvrent, en outre, la tête de casquettes en peau de cerf ou en fibres tissées de formes variables.
Comme tous les montagnards, les Atayal sont de haute stature et bien constitués; les hommes s'arrachent deux des incisives supérieures et pratiquent trois tatouages horizontaux sur le front, quelquefois un autre sur le menton. Les femmes y ajoutent deux bandes, allant des oreilles au coin de la bouche, en arc de cercle d'une largeur de 3 cm. environ et composées de lignes minces se coupant diagonalement.
La religion de ces peuplades, des plus élémentaires, comporte uniquement le culte des ancêtres auxquels on offre à chaque pleine lune des gâteaux de millet; tous les villages possède également une sorcière chargée d'exorciser les malades et d'écarter par des prières et des sortilèges la présence des esprits nuisibles.
Le trait caractéristique des mœurs des Atayal est la chasse des têtes, à laquelle tous les hommes se livrent activement. Dès qu'un ennemi est tombé au combat, on le décapite; le crâne est bouilli longuement pour faire disparaître les parties charnues, puis, après avoir été blanchi au soleil, il vient prendre place sur une espèce d'étagère qui orne l'entrée de chaque village. Le chef de la tribu est choisi parmi les guerriers qui contribuent pour la plus large part à enrichir cette macabre collection. Aucun jeune homme ne peut prétendre contracter mariage ou prendre place au conseil sans compter au moins un de ces trophées à son actif. Si deux Atayal se prennent de querelle et ne parviennent pas à régler leur différend, ils quittent simultanément le village et le premier qui revient chargé d'une dépouille sanglante obtient gain de cause.
Lorsque les Japonais prirent possession de Formose en 1895 à la suite de la guerre contre la Chine, ils consacrèrent de louables efforts à se concilier les aborigènes et à obtenir d'eux qu'ils se tinssent tranquille dans leurs montagnes sans molester leurs voisins chinois. Les groupes méridionaux sont restés fidèles aux engagements qu'ils ont pris avec les nouveaux maîtres de l'île, mais les Atayal se sont montrés incapables de renoncer à leurs féroces habitudes. Aussi les Japonais ont-ils pris le parti de les détruire. Ils envoyèrent d'abord contre eux de nombreuses expéditions militaires; elles ont toujours échoué. Les sauvages ne leur opposaient au commencement de leur marche qu'une faible résistance, les attirant ainsi au cœur de leur pays, puis, lorsque l'ennemi se trouvait sur un terrain particulièrement difficile, ils lui tendaient des embuscades et décimaient les colonnes. Bien peu de soldats nippons ont pu regagner leur point de départ, et, à plusieurs reprises, des bataillons entiers ont été anéantis jusqu'au dernier homme.
Ces désastres ont amené les Japonais à modifier leur tactique et à se maintenir sur la défensive. Ils ont, à cet effet, établi, autour du pays atayal, un cordon de blockaus défendus par une police militaire indigène encadrée de sous-officiers et d'officiers japonais.
Ces blockaus, solidement construits en pierre, occupent des points qui commandent le terrain à des distances variables mais ne dépassant pas 1 km., de manière à pouvoir en cas d'attaque s'appuyer mutuellement.
Ce cordon a permis d'enrayer fort efficacement les incursions des Atayal et le nombre des assassinats commis par les sauvages diminue tous les ans. En 1905, il atteignait encore le chiffre de 493.
Le gouvernement projette de reculer progressivement la ligne de surveillance vers l'intérieur du pays atayal, de limiter ainsi chaque année davantage la région qu'ils habitent, ce qui amènera un jour leur complète destruction. Ces opérations nécessitent l'emploi d'un corps mobile de police qui vient s'ajouter aux garnisons permanentes de la partie du cordon qui est poussée en avant; à ces occasions l'armée prête à la police des canons de montagne et des mitrailleuses.
Les progrès accomplis ont été fort lents jusqu'à ce jour; mais on prévoit qu'à l'avenir les Japonais se verront obligés de les pousser plus activement, car les forêts de camphriers situées dans le pays soumis s'épuisent très vite, et, comme cette industrie fournis les revenus les plus importants du budget colonial, il faudra aller chercher les arbres dans la région dangereuse des forêts inexploitées.
La lutte contre les aborigènes sera donc désormais plus vive encore que par le passé et la destruction de ces sauvages, si intéressants du point de vue ethnographique, peut être désormais prévue dans un avenir rapproché.
Réginald Kann.
La Nature, deuxième semestre 1907.
Ces autochtones forment un grand nombre de tribus que les japonais ont classés en sept groupe principaux: Atayal, Vonum, Tsou, Tsalisen, Païwan, Puyuma, Amis. Quatre de ces groupes, les Amis, les Puyuma, les Tsou et les Païwan, sont inoffensifs et ne s'attaquent plus à la population jaune. Les Vonum et les Tsalisen, plus voisins des districts chinois, se bornent à se combattre entre eux; mais les Atayal, qui à eux seuls occupent la moitié de toute la région aborigène, ne cessent de se livrer à des incursions contre les habitants des environs, et constituent un péril constant pour les nombreux ouvriers qui récoltent et distillent le camphre dans les forêts voisines de la frontière.
Les Atayal s'étendent sur deux versants de la chaîne médiane, depuis la province de Giran au nord jusqu'au centre de l'île, à hauteur du 24 e degré de latitude qui marque la séparation entre eux et le groupe des Vonum. Ils vivent dans des villages formés de quelques huttes, construites en bambou; le sol est creusé sous ces abris jusqu'à une profondeur de 2 m. environ. leurs dépôts de vivres, au contraire sont bâtis sur pilotis afin de préserver les récoltes contre les rats et autres rongeurs très nombreux dans ces parages. Dans les agglomérations les plus importantes une case spéciale est réservée pour les conseils de la tribu. C'est là que les guerriers se réunissent avant d'entreprendre leurs expéditions de chasse et de guerre. A ces expéditions se limite l'activité des Atayal, qui méprisent le travail manuel et laissent aux femmes le soin de cultiver le millet et les patates pour leur nourriture, ainsi que la ramie qu'ils emploient pour tisser des espèces de tuniques sans manches. Ce vêtement constitue tout l'habillement des individus des deux sexes. Les hommes se couvrent, en outre, la tête de casquettes en peau de cerf ou en fibres tissées de formes variables.
Comme tous les montagnards, les Atayal sont de haute stature et bien constitués; les hommes s'arrachent deux des incisives supérieures et pratiquent trois tatouages horizontaux sur le front, quelquefois un autre sur le menton. Les femmes y ajoutent deux bandes, allant des oreilles au coin de la bouche, en arc de cercle d'une largeur de 3 cm. environ et composées de lignes minces se coupant diagonalement.
La religion de ces peuplades, des plus élémentaires, comporte uniquement le culte des ancêtres auxquels on offre à chaque pleine lune des gâteaux de millet; tous les villages possède également une sorcière chargée d'exorciser les malades et d'écarter par des prières et des sortilèges la présence des esprits nuisibles.
Le trait caractéristique des mœurs des Atayal est la chasse des têtes, à laquelle tous les hommes se livrent activement. Dès qu'un ennemi est tombé au combat, on le décapite; le crâne est bouilli longuement pour faire disparaître les parties charnues, puis, après avoir été blanchi au soleil, il vient prendre place sur une espèce d'étagère qui orne l'entrée de chaque village. Le chef de la tribu est choisi parmi les guerriers qui contribuent pour la plus large part à enrichir cette macabre collection. Aucun jeune homme ne peut prétendre contracter mariage ou prendre place au conseil sans compter au moins un de ces trophées à son actif. Si deux Atayal se prennent de querelle et ne parviennent pas à régler leur différend, ils quittent simultanément le village et le premier qui revient chargé d'une dépouille sanglante obtient gain de cause.
Lorsque les Japonais prirent possession de Formose en 1895 à la suite de la guerre contre la Chine, ils consacrèrent de louables efforts à se concilier les aborigènes et à obtenir d'eux qu'ils se tinssent tranquille dans leurs montagnes sans molester leurs voisins chinois. Les groupes méridionaux sont restés fidèles aux engagements qu'ils ont pris avec les nouveaux maîtres de l'île, mais les Atayal se sont montrés incapables de renoncer à leurs féroces habitudes. Aussi les Japonais ont-ils pris le parti de les détruire. Ils envoyèrent d'abord contre eux de nombreuses expéditions militaires; elles ont toujours échoué. Les sauvages ne leur opposaient au commencement de leur marche qu'une faible résistance, les attirant ainsi au cœur de leur pays, puis, lorsque l'ennemi se trouvait sur un terrain particulièrement difficile, ils lui tendaient des embuscades et décimaient les colonnes. Bien peu de soldats nippons ont pu regagner leur point de départ, et, à plusieurs reprises, des bataillons entiers ont été anéantis jusqu'au dernier homme.
Ces désastres ont amené les Japonais à modifier leur tactique et à se maintenir sur la défensive. Ils ont, à cet effet, établi, autour du pays atayal, un cordon de blockaus défendus par une police militaire indigène encadrée de sous-officiers et d'officiers japonais.
Ces blockaus, solidement construits en pierre, occupent des points qui commandent le terrain à des distances variables mais ne dépassant pas 1 km., de manière à pouvoir en cas d'attaque s'appuyer mutuellement.
Ce cordon a permis d'enrayer fort efficacement les incursions des Atayal et le nombre des assassinats commis par les sauvages diminue tous les ans. En 1905, il atteignait encore le chiffre de 493.
Le gouvernement projette de reculer progressivement la ligne de surveillance vers l'intérieur du pays atayal, de limiter ainsi chaque année davantage la région qu'ils habitent, ce qui amènera un jour leur complète destruction. Ces opérations nécessitent l'emploi d'un corps mobile de police qui vient s'ajouter aux garnisons permanentes de la partie du cordon qui est poussée en avant; à ces occasions l'armée prête à la police des canons de montagne et des mitrailleuses.
Les progrès accomplis ont été fort lents jusqu'à ce jour; mais on prévoit qu'à l'avenir les Japonais se verront obligés de les pousser plus activement, car les forêts de camphriers situées dans le pays soumis s'épuisent très vite, et, comme cette industrie fournis les revenus les plus importants du budget colonial, il faudra aller chercher les arbres dans la région dangereuse des forêts inexploitées.
La lutte contre les aborigènes sera donc désormais plus vive encore que par le passé et la destruction de ces sauvages, si intéressants du point de vue ethnographique, peut être désormais prévue dans un avenir rapproché.
Réginald Kann.
La Nature, deuxième semestre 1907.
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