Les Fiancés qui oublient le jour de leur mariage.
On oublie sa canne, son parapluie; on peut quelquefois oublier de payer son créancier ou de donner des étrennes à sa concierge. Certainement, chers lecteurs, vous connaissez quelques unes de ces distractions qui, dans la vie, au théâtre, dans les livres, provoquent une irrésistible hilarité. La démonstration du célèbre physicien B... voulant prouver à la cuisinière que la cuisson des œufs à la coque exige, pour être parfaite, exactement trois minutes et qui, au lieu de l’œuf, laisse tomber son chronomètre dans la casserole est légendaire. La fâcheuse erreur de M. V... qui, à la tribune d'une réunion publique, verse dans son haut de forme à huit reflets le contenu d'une carafe, croyant préparer un verre d'eau, n'est pas moins connue. Mais que sont ces courtes aberrations mentales auprès de celle d'un fiancé qui oublie le jour où il doit se marier? Le fait paraît impossible. Cependant en voici quelques exemples d'une indiscutable authenticité.
Singulier incident d'audience.
M. L. R..., avocat bien connu, avait obtenu la main d'une charmante jeune fille après une cour longue et assidue. Cependant le jour fixé pour son mariage et à l'heure où sa fiancée l'attendait à la mairie, l'éloquent défenseur de la veuve et de l'orphelin, plaidait véhémentement devant le tribunal. La préoccupation du devoir professionnel avait totalement effacé dans son esprit l'espoir du bonheur conjugal. Hâtons-nous d'ajouter que M. L. R... n'avait plus vingt ans.
Il fallut que son secrétaire vint le chercher.
Sans s'émouvoir, l'avocat, interrompant sa plaidoirie, déclara:
- Messieurs, on vient me rappeler que je dois me marier aujourd'hui, et que la future Mme L. R... s'impatiente. Je sollicite la remise à huitaine.
Les juges sont galants. La demande fut acceptée.
On n'est pas plus distrait.
Et ce jeune cultivateur des environs d'Alençon qui devait épouser la fille de l'adjoint d'une localité voisine?
Le jour du mariage, notre homme, qui probablement avait la veille trop copieusement enterré sa vie de garçon, se lève et se livre à ses occupations habituelles, sans penser le moins du monde qu'à quelques kilomètres de là, sa future, entourée des gens de la noce, attendait, souriante.
L'heure du départ pour la mairie avait sonné: pas de marié. On s'étonne, on s'inquiète, les mauvais plaisants murmurent les propositions les plus saugrenues; enfin, le garçon d'honneur enfourche sa bicyclette et trouve le fermier fumant dans son jardin, en admiration devant ses poiriers.
- Et la noce? crie l'arrivant
- Ah! sapristi, j'oubliais... je n'avais pas fait de nœud à mon mouchoir!
Entre la coupe et les lèvres.
Plus amusant encore, le cas du physicien Messier, membre de l'Académie des sciences, à la fin du XVIIIe siècle.
Ce savant avait été chargé par la docte compagnie de rédiger un mémoire sur les expériences faites aux Tuileries le 30 novembre 1783, par les aéronautes Charle et Robert, qui, au milieu de l'enthousiasme général, partaient dans le premier ballon gonflé d'hydrogène.
Messier n'ignorait pas le retentissement qu'emprunterait son écrit à la gloire des hardis novateurs. Aussi, plongé dans son travail, absorbé par la préoccupation d'exprimer en termes choisis, en phrases bien équilibrées, la théorie scientifique qui venait compléter l'invention des frères Montgolfier, l'académicien fut-il désagréablement surpris d'entendre frapper à sa porte, rigoureusement consignée depuis la veille.
Il faut dire que Messier, précisément ce jour-là, devait convoler en justes noces avec la fille d'un de ses collègues de l'Académie, une aimable et jeune veuve dont il avait à grand'peine fixé la coquetterie.
- Messier, holà! Messier... criait-on.
C'était le beau-père qui ne comprenant rien à l'absence du futur, venait le chercher en compagnie d'amis communs.
- Je n'y suis pour personne, répliqua le savant qui à ce moment n'avait en tête que gonflement de ballons, par l'air chaud, comme Montgolfier; par l'hydrogène comme Charle.
- Dépêchez-vous, nous partons à l'église... Nous avons besoin de vous, que diable!
Messier, supposant qu'il s'agissait d'une cérémonie quelconque, répliqua brusquement:
- Impossible aujourd'hui, je n'ai pas le temps, adressez-vous à un autre.
Lorsqu'il eut conscience de la terrible gaffe qu'il venait de commettre, le savant courut implorer le pardon de sa fiancée; mais celle-ci fut inflexible.
- Inutile d'insister, monsieur, finit-elle par déclarer; vous m'avez fait dire par mon père de choisir un autre époux: c'est chose faite.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 août 1903.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire