Les lavements 1/3.
Plus d'un va sourire, en lisant ce titre. Nous ne devons pas oublier que les Annales de la santé ont surtout pour but de vulgariser et d'instruire. Que de fois, dans une famille, quand le médecin ordonne un lavement simple, ne voit-il pas les gens se regarder entre eux, comme pour se dire: "Qui va se charger du soin de le donner?"
Ce n'est pas faute de dévouement, c'est par ignorance; chacun verrait avec plaisir son voisin se mettre en demeure d'exécuter la prescription. Une fois le praticien sorti, on se précipite chez la femme X... , qui, elle, sait donner un lavement, sans quoi le pauvre patient risquerait d'attendre.
Permettre à nos lectrices, bonnes mères de famille, maîtresse de maison actives et soigneuses, de n'avoir besoin de recourir à personne et de savoir se servir, seules au besoin, de ce puissant moyen thérapeutique, tel est notre but.
Le lavement n'a pas toujours été ridicule. Ecoutez les poètes:
La seringue:
Quoique de mon métier, je sois fort secourable
Je m'arme d'un nom redoutable,
Et dès que j'attaque à propos,
Au plus brave guerrier, je fais tourner le dos.
Au bas du tableau de Jeaurat, représentant une jeune fille qui, comme beaucoup de ses semblables, trouve trop peu poétique de se préoccuper de son intestin, vous lirez ceci:
Tous les anodins de la terre
Ne calmeront jamais vos feux.
Foin des leçons de votre mère,
Mariez-vous donc, cela vaut mieux.
Ce sont les propos que lui tient la femme de chambre, au moment de lui donner un lavement destiné à rafraîchir son imagination.
Le XVIIe siècle nous a laissé des estampes intéressantes sur ce sujet: Le curieux de Beaudoin; Le contre-temps, de Lawrence; La servante officieuse de Schall, montrent, grâce à l'étourderie ou à la complicité de la chambrière, non seulement les détails de l'opération, mais des formes gracieuses et rebondies.
Ces images sont fort précieuses, en ce sens qu'elles nous renseignent, non seulement sur l'instrument dont on se servait alors pour donner un lavement, mais encore sur la posture de la personne qui allait le recevoir. A cette époque, les élégantes, les femmes à la mode savaient que rien ne gâte un teint comme un mauvais fonctionnement de l'intestin et, si la brosse à dent n'était pas d'un usage courant, le clystère était inséparable de la toilette matinale.
A cette époque de vie moins fiévreuse, moins agitée, on prenait son temps pour procéder à tous les soins du corps; mais à l'heure actuelle, aussitôt qu'on est levé, il faut courir au téléphone; on n'a pas le temps de prendre de lavement; c'est à peine si on prend celui de se débarbouiller. Cependant la nécessité du lavement s'impose fréquemment, en raison même de l'attention qu'on doit apporter aux affaires. Que de négociants, de demoiselles de magasin, de couturières, etc. , saisies par un besoin subit, au moment où ils sont en train de traiter une affaire, une vente importante, de prendre une mesure à une cliente impatiente, ne pouvant obéir à la loi naturelle, se retiennent et arrivent ainsi insensiblement, à rendre leur intestin paresseux, ce qui aboutit à la constipation par rétention. Dans des cas de ce genre, l'accumulation des matières dures est telle, que les purgatifs donnent de fortes coliques et que le meilleur remède, c'est le lavage intestinal, le lavement.
Que faut-il pour donner un lavement?
Un instrument, une solution.
L'instrument.
Les estampes, que nous avons citées précédemment, indiquent qu'à l'époque de la Renaissance, on faisait usage de la seringue à canule. Toutes les chambrières la tiennent à la main. Cependant dans le Tableau de Paris, par Sébastien Mercier, édition Michaud, un dessin de J. Droit nous montre une dame qui, au saut du lit, prend un clystère, car la légende porte: "La première toilette". Cette dame est à cheval sur un petit meuble, connu sous le nom de "Bidet". En avant se trouve fixée la seringue. Plus près de nous si on en juge par les détails du costume, dans le tableau de Mendouze "Ne bougez pas, Madame", on voit que l'instrument n'a pas changé, et Ducarme représente un bon gros bourgeois qui, désireux d'être agréable à sa femme, dont la plastique est maigre, ne trouve rien de mieux pour ses étrennes, que de lui offrir une volumineuse seringue, en ajoutant: "Agréez, ma chaste épouse, l'hommage de mon sentiment".
Pendant bien des années, les apothicaires qui avaient monopolisé le lavement, envoyaient un de leurs aides administrer le clystère, et Molière ne s'est pas fait faute d'égayer le public à leurs dépens; ils ne se déplaçaient eux-mêmes que pour des personnages de qualité.
Mais on n'aime pas beaucoup à mettre quelqu'un dans la confidence de cette petite nécessité et l'appareil, imaginé et reproduit dans la première toilette, avait déjà pour but de s'affranchir de l'obligation d'avoir un aide. Aussi, la seringue fut-elle bientôt reléguée à l'étable, car elle ne sert plus que dans la médecine vétérinaire, et on imagina le clysopompe qui permettait de se soigner sans confident. Cet appareil avait une marche capricieuse et un peu brutale et, à l'heure actuelle, tout le monde utilise le bock émaillé ou en verre, qu'on appelle douche d'Esmarck, l'irrigateur à crémaillère disparaissant de plus en plus devant la commodité et la propreté de son concurrent.
La seringue est cependant conservée pour les lavements alimentaires, car les matières grasses contenues dans ceux-ci, ne font pas bon ménage avec les tuyaux en caoutchouc, et on en fait en verre, qui sont très pratiques, lorsque cette indication se présente.
Jadis la seringue était munie d'une canule rigide et dure, puisqu'elle était en métal. Le tube de caoutchouc, ajusté sur la douche d'Esmarck, se termine aussi par une canule en caoutchouc durci, qui elle aussi est dure et dangereuse, étant susceptible de blesser la muqueuse intestinale, surtout si, en raison de la constipation, il y a un petit bourrelet hémorroïdaire. On a donc adopté des canules molles en caoutchouc, d'une longueur variable suivant les indications du médecin. Percées de deux œillets à leur extrémité libre, elles donnent plus facilement cours à un liquide approprié.
Pour les jeunes enfants, on utilise des poires en caoutchouc, de dimensions et de capacité variables, terminées par une canule rigide, en os ou en ébonite. Celle-ci est dangereuse et il y a avantage à la coiffer d'une canule élastique, dont on trouve tous les calibres.
(A suivre)
Les annales de la santé, 15 janvier 1912.
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