La simulation des maladies.
La simulation des maladies a été de tous les temps, car il a toujours existé des gens peu scrupuleux qui ont jugé utile et surtout avantageux de tromper leurs semblables, pour les apitoyer au spectacle de leurs prétendues infirmités.
Rien n'est plus susceptible d'exciter la pitié et d'engager à donner une aumône qu'une maladie semblant incurable, qu'une plaie hideuse, et les mendiants de tous les âges ont su tirer parti de cette disposition naturelle du cœur humain.
C'est surtout au Moyen-Age que ce genre de simulation a brillé de tout son éclat. Il suffit pour s'en convaincre de parcourir les dessins de ces malandrins, bancals et estropiés que nous ont laissé Jacques Callot et ses émules. C'est à la même époque que florissait la célèbre Cour des miracles, où se réunissaient tous les bandits et tous les mendiants qui infestaient alors Paris, et que Victor Hugo a évoquée si prestigieusement dans Notre-Dame de Paris, "égout d'où s'échappaient chaque matin, et où revenaient croupir chaque nuit, ce ruisseau de vices, de mendicité et de vagabondage, toujours débordé dans les rues des capitales."
Aujourd'hui la simulation des maladies est peut être encore en usage parmi les mendiants qui cherchent à exploiter la charité publique; mais elle est en vogue surtout parmi ceux qui veulent trouver quelque repos par le prétexte d'une maladie. C'est ainsi que certains individus cherchent à se faire admettre dans les hôpitaux en simulant un crachement de sang ou une attaque d'épilepsie.
Mais c'est parmi les soldats, parmi les prisonniers et les condamnés aux travaux forcés, et plus récemment chez les accidentés du travail, qu'on rencontre le plus grand nombre de simulateurs.
Au régiment, c'est pour éviter une corvée ennuyeuse ou un exercice fatigant, ou bien par paresse, ou encore pour échapper à une punition, que l'homme cherche à se faire passer pour malade. Quelques moyens très simples sont employés à cet effet sont bien connus, tel que se frapper vigoureusement et pendant un certain temps le coude contre un mur pour accélérer le pouls, fumer de la paille ou un cigare trempé dans l'huile pour simuler la fièvre.
Ce sont surtout les condamnés dont l'imagination, toujours en éveil pour faire le mal, se donne libre cours pour tromper la vigilance des médecins et produire des maladies artificielles, qui peuvent être même dangereuses. Voici un certain nombre de ces procédés, que nous avons recueilli dans diverses publications:
Pour produire des abcès, il suffit d'introduire sous la peau soit un crin de cheval, soit un cheveu de femme (pourquoi de femme?) , soit un fil de saint-bois, soit encore des matières malpropres, des excréments, du crottin de cheval, ou du tartre pris sur les dents.
Pour se fabriquer un ulcère de jambe, on se frotte la peau avec un morceau de drap, jusqu'à ce que l'épiderme soit enlevé; puis sur le derme à vif, on applique le drap, et par-dessus on place un sou, puis de la viande crue. Il est facile de comprendre quelle fermentation se produit, et combien les produits irritants peuvent entamer les chairs.
Pour produire une kératite (inflammation de l’œil), il suffit d'y souffler du tabac ou de la poudre d'ipéca.
On simule une entorse ou une hydarthrose en frappant sur les jointures avec un mouchoir ou une serviette renfermant du sable ou des petits cailloux, ce qui, il est aisé de le deviner, détermine un gonflement.
On se fait une perforation du tympan en se couchant sur un côté, puis en remplissant d'eau l'oreille du côté opposé, et en se faisant donner un coup bien à plat sur cette oreille.
Pour se donner une fausse pelade, rien de plus simple: il suffit d'appliquer sur la tête de la chaux vive, ou bien un mélange d'ail pilé et de pétrole.
Pour la gale, il n'y a qu'à se frotter le corps avec du savon puis de l'aloès.
L'eczéma s'obtient en introduisant de l'huile de croton dans des piqûres, et en recouvrant de thapsia.
En prenant tous les matins un demi-verre d'urine, on se donne une entérite aiguë; pour avoir la dysenterie, il faut avaler de même chaque matin un mélange de savon et d'eau.
Si ces moyens témoignent d'une imagination féconde et réussissent à causer des maladies jugées utiles par ceux qui en font usage, ils n'en sont pas moins dangereux, car ils déterminent des lésions bien nettes, aussi difficiles souvent à guérir que de véritables maladies. Mais il importe peu aux simulateurs de souffrir un peu, et même de s'exposer sérieusement, pourvu qu'ils atteignent leur but; et on comprend qu'ils doivent y parvenir fréquemment avec les procédés que nous venons de rapporter.
Les annales de la santé, 15 mars 1911.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire