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vendredi 5 décembre 2014

Les on-dit du mois.

Les on-dit du mois.

On a encore présente en mémoire la récente histoire qui eut pour théâtre l'hôpital Lariboisière. Il s'agissait, on s'en souvient, d'un chirurgien qui avait opéré par méprise, un membre sain au lieu d'un membre malade. L'affaire n'était pas si grave, en somme. Mais les critiques allèrent leur train et il faut admettre que les juges incompétents, ou passionnés, se laissèrent entraîner à de regrettables exagérations.
Nous sommes à même, grâce à la vaste étendue de nos relations, de citer un cas nouveau, qui permettra à nos lecteurs de comparer avec le précédent. Notre discrétion professionnelle nous fait un devoir de ne donner aucun nom.
Disons tout de suite que la victime a été largement dédommagée.
L'auteur involontaire de cette malencontreuse aventure est un jeune débutant, très habile cependant, mais à qui le sang froid fit défaut pendant une opération chirurgicale importante au cours de laquelle, reconnaissons le, il apporta trop de précipitation. Le blessé est employé dans un grand restaurant voisin de la clinique où il fut opéré, et sa fonction consistait à manœuvrer la nouvelle machine à tarauder les salsifis. Cette machine, ingénieusement conçue, est constituée par une série de lames très affilées, disposées en hélice et tournant dans une boite sans fond à 1.813 tours à la minute.
Il suffit d'introduire les bottes de salsifis dans l'une des extrémités de la boite, pour les voir, un instant après, sortir par l'autre extrémité parfaitement épluchés.
C'est en se livrant à cet exercice que le malheureux, glissant sur une épluchure de note de blanchisseuse, perdit l'équilibre et tomba les deux mains en avant dans la machine avec la botte de légume qu'il présentait.
Un cri d'horreur échappa au pauvre garçon: ses deux mains, happées par le mécanisme, venaient d'être sectionnées net, au niveau des poignets, et cela si rapidement que la douleur fut pour ainsi dire nulle.
Avec un courage admirable et sans perdre un instant, il ramassa ses mains et se précipita tout sanglant à la clinique.
Le chirurgien fit immédiatement la suture des mains amputées et le pansement dûment exécuté, félicita sans réserve le patient de l'énergie dont il avait fait preuve en refusant l'anesthésie.
Lui ayant recommandé l'immobilité et interdit le jeu de billard, l'usage de la bicyclette, etc. , etc. , il lui confia l'adresse d'un bureau de nourrices sur lieux de façon de pouvoir être mouché en temps utile et continuer à porter la raie à gauche. Cinq jours plus tard, comme il était convenu, l'opéré revint se faire panser et c'est en retirant les compresses que tous deux furent déçus.
La réunion était parfaite; mais malheureusement la main gauche pendait au bout de l'avant-bras droit et l'avant-bras gauche agitait la main droite. Leur stupéfaction et leur émoi se manifestaient par l'écoulement d'une abondante salive.
Le docteur, qui jouit d'une rondelette fortune, a fait une bonne rente à cet invalide d'un nouveau genre et, écœuré par ce défaut, a abandonné la carrière. Il dirige actuellement une importante manufacture de fer-blanc bitumé pour la confection des boîtiers de montre inoxydables.
Le garçon de restaurant s'est résigné à son triste sort avec une douce philosophie. Il conte à qui veut l'entendre que le seul ennui qu'il lui reste de ce malheur, c'est qu'il est obligé de se mettre les mains derrière le dos pour rouler sa cigarette.
Des gens à l'esprit étroit auraient certainement crié au sabotage.

                                                                                                                     D. Beuvot.

Les annales de la santé, 15 janvier 1912.

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