De la manière de faire des objections.
Il faut éviter les formes de discussion qui peuvent tourner à l'aigreur.
C'est un des moyens de maintenir ce que Nicole appelle "la paix avec les hommes", cette paix si désirable, si douce, si nécessaire à la concorde dans la famille, dans les amitiés, dans les rapports de chaque jour avec tous ceux qui approchent de notre vie.
Ce sujet mériterait d'être étudié sérieusement par un moraliste.
Ce qui nous en donne une idée est un exemple que nous avons sous les yeux.
Entre D. et nous (ce nous est mis ici pour le mot moi qui est d'un emploi désagréable), il y a une différence très-sensible d'âge, d'éducation, d'habitudes dans les directions de la pensée. Nous nous aimons cependant, et nous avons souvent tous deux, le désir d'échanger nos idées sur beaucoup de questions.
Or, j'ai été longtemps sans remarquer assez que, quelle que paraisse être notre divergence à l'occasion de beaucoup de problème de religion, de philosophie ou de morale, jamais le ton de notre conversation ne cesse d'être calme, modéré, sympathique, et qu'après de longues discussions où chacun de nous a soutenu son opinion en toute liberté, nous nous séparons aussi affectueux qu'auparavant, sans la moindre amertume à l'égard l'un de l'autre, sans aucun ressentiment contre quelque parole qui nous aurait paru blessante, sans aucun regret ou petit remords pour des expressions trop vives qui nous auraient échappé dans la chaleur du débat.
En y réfléchissant, j'en arrive à reconnaître que la cause en est dans la manière aimable et délicate, familière à D. lorsqu'il fait une objection.
Il ne la présente pas brusquement, comme lorsqu'on oppose, dans un assaut ou un duel, une épée à une épée.
Il ne l'insinue pas cependant, il ne l'enveloppe pas de paroles timides ou doucereuses: il exprime avec franchise et netteté; mais telle est son aménité naturelle et son urbanité exquise, que son objection, si fondamentale qu'elle soit, si contraire qu'elle soit en réalité à ce qu'on a dit, n'apparaît pas comme une nuance de la conversation ou une invitation à entrer dans d'autres développements. Souvent alors, il arrive qu'on s'aperçoit aussitôt, par un retour sur soi-même, qu'on vient d'être trop affirmatif, trop tranchant; qu'on a , sans le vouloir, dépassé la mesure de ce que l'on avait dans la pensée; ne se sentant pas blessé, on s'atténue sans peine, on se corrige, et, par une déviation insensible dans une direction plus droite, on se rapproche et on s'accorde à approfondir paisiblement le sujet de l'entretien, en se tenant compte réciproquement d'arguments évidemment dictés, non par un goût puéril de controverse, non par une irritation et une obstination quelconque d'amour-propre, mais par le désir mutuel de se faire une conviction fondée sur la raison et la bonne foi.
Est-ce peu de chose que cette puissance secrète d'un beau caractère qui réussit avec simplicité, sans effort, à éviter autour de soi les dissentiments trop vifs, et à ne point laisser se dissiper ou se refroidir la douce et salutaire chaleur de tendresse ou d'affection si utile à notre félicité?
Magasin Pittoresque, 1879.
Or, j'ai été longtemps sans remarquer assez que, quelle que paraisse être notre divergence à l'occasion de beaucoup de problème de religion, de philosophie ou de morale, jamais le ton de notre conversation ne cesse d'être calme, modéré, sympathique, et qu'après de longues discussions où chacun de nous a soutenu son opinion en toute liberté, nous nous séparons aussi affectueux qu'auparavant, sans la moindre amertume à l'égard l'un de l'autre, sans aucun ressentiment contre quelque parole qui nous aurait paru blessante, sans aucun regret ou petit remords pour des expressions trop vives qui nous auraient échappé dans la chaleur du débat.
En y réfléchissant, j'en arrive à reconnaître que la cause en est dans la manière aimable et délicate, familière à D. lorsqu'il fait une objection.
Il ne la présente pas brusquement, comme lorsqu'on oppose, dans un assaut ou un duel, une épée à une épée.
Il ne l'insinue pas cependant, il ne l'enveloppe pas de paroles timides ou doucereuses: il exprime avec franchise et netteté; mais telle est son aménité naturelle et son urbanité exquise, que son objection, si fondamentale qu'elle soit, si contraire qu'elle soit en réalité à ce qu'on a dit, n'apparaît pas comme une nuance de la conversation ou une invitation à entrer dans d'autres développements. Souvent alors, il arrive qu'on s'aperçoit aussitôt, par un retour sur soi-même, qu'on vient d'être trop affirmatif, trop tranchant; qu'on a , sans le vouloir, dépassé la mesure de ce que l'on avait dans la pensée; ne se sentant pas blessé, on s'atténue sans peine, on se corrige, et, par une déviation insensible dans une direction plus droite, on se rapproche et on s'accorde à approfondir paisiblement le sujet de l'entretien, en se tenant compte réciproquement d'arguments évidemment dictés, non par un goût puéril de controverse, non par une irritation et une obstination quelconque d'amour-propre, mais par le désir mutuel de se faire une conviction fondée sur la raison et la bonne foi.
Est-ce peu de chose que cette puissance secrète d'un beau caractère qui réussit avec simplicité, sans effort, à éviter autour de soi les dissentiments trop vifs, et à ne point laisser se dissiper ou se refroidir la douce et salutaire chaleur de tendresse ou d'affection si utile à notre félicité?
Magasin Pittoresque, 1879.
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