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dimanche 16 février 2014

Ceux dont on parle.

Le roi de Portugal.

Si l'on me donnait à choisir entre les différents trônes du monde, j'aimerais assez être roi de Portugal, non pas pour mettre sur ma tête la couronne royale de ce pays, qui, dit-on, vaut vingt-cinq millions de francs, et qui doit être bien gênante pour goûter tous les plaisirs du métier de roi, sans les payer trop cher. Il ne doit pas falloir plus de 10 minutes 15 secondes par jour pour expédier les affaires de ce tranquille Etat. Le reste du jour, on est libre. On peut, sans attendre le carnaval,  se déguiser en général ou en garçon de recettes, mettre une veste de hussard ou un chapeau de mousquetaire. On peut découper de petits rubans de diverses couleurs et les envoyer à tous ses amis, pour leurs boutonnières. On fait des barons, des comtes, des marquis, et l'on va chasser chez eux. On peut même tirer le canon, si l'on aime le bruit, et faire des emprunts que l'on ne rendra jamais.
Les souverains qui assurent en ce moment les destinées du Portugal ont parfaitement compris tous les avantages de leur position. Comme ce sont des gens de goût et qu'ils ont des mœurs simples, leurs passe-temps ne sont ni grossiers ni sanguinaires. Monsieur fait du pastel et Madame de l'aquarelle. peut-on rêver occupations plus innocentes? La Société des amateurs a réussi à se procurer, pour sa dernière exposition, des œuvres de ces artistes distingués; tout Paris put ainsi admirer un paysage de la main de don Carlos, représentant la campagne d'Alemtejo, et des dessins coloriés, remarquable de finesse, ayant pour sujets des bijoux ou de l'orfèvrerie. Ces dessins dénotent chez la reine Amélie, qui en est l'auteur, une grande patience, mais la souveraine est-elle aussi bonne épouse qu'aquarelliste?
Il faut le souhaiter, car don Carlos est le plus sympathique des rois. Il remplit ses fonctions avec la confiance souriante d'un homme dont la conscience est tranquille et l'estomac bien portant. Il a l'esprit ouvert et l'a montré dans son récent voyage à Paris, où il prit grand intérêt à entendre nos savants, Mme Curie en tête, exposer les découvertes les plus remarquables de ces dernières années. Il avait tout ce qu'il faut pour réussir dans la vie, et, pourtant, s'il n'avait pas été roi, il n'aurait peut être été qu'un malheureux tâcheron. Les destinées tiennent à si peu de chose! Celle de don Carlos aurait pu souffrir d'une infirmité qui lui a valu de douces railleries: son embonpoint.
Don Carlos pesait, il n'y a pas longtemps, 175 livres, et l'on ne peut s'empêcher, en le voyant, de se demander si c'est de la sueur de ses sujets qu'il s'est engraissé ainsi. 



Le propriétaire de l'hôtel Bristol, où il était descendu, a du faire changer tous les ressorts du sommier royal, et, comme il a des lettres, il appelait son illustre client adipe roi.
(Adipe vient d'un mot qui signifie graisse.)
Ce petit désagrément physique ne paraît pas influer sur le caractère du roi. Le proverbe ne dit-il pas que les Portugais sont toujours gais? Sa bonne humeur est particulièrement précieuse à certain compagnon fidèle du roi. Quand les exigences de son singe, car c'est un singe, deviennent trop fatigantes, don Carlos manifeste, paraît-il, son impatience en faisant craquer les jointures de ses doigts. C'est là un moyen d'intimidation bien inoffensif, que certains chefs d'Etats, de nature ombrageuse, ne feraient peut être pas mal d'adopter.

                                                                                                                Jean-louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 28 janvier 1906.

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