Le génie est ingrat.
Baudelaire, l'auteur des Fleurs du Mal, le poète de la morphine et du haschisch, auquel on élève une statue, aura été, comme homme privé, un des plus complets originaux de son temps, cherchant surtout à produire des effets. La première fois qu'il rendit visite à M. Maxime Du Camp, il lui dit à brûle-pourpoint:
- Monsieur, j'ai soif.
M. Maxime Du Camp lui ayant offert de la bière, du thé, un grog:
- Monsieur, répondit-il, je vous remercie, je ne bois que du vin.
Sur quoi son hôte lui propose, à son choix, du bordeaux ou du bourgogne.
- Monsieur, reprend Baudelaire, si vous le permettez, je boirai l'un et l'autre.
On apporte deux bouteilles, un verre et une carafe; il dit:
- Monsieur, veuillez faire enlever cette carafe; la vue de l'eau m'est désagréable.
Pendant une heure que dura l'entretien, l'auteur des Fleurs du Mal but les deux bouteilles de vin en regardant de temps en temps, M. Maxime Du Camp qui lui fit le tour de rester impassible.
A la seconde visite, Baudelaire ne demanda pas à boire du vin, mais ayant retiré son chapeau, il dit tranquillement à M. Maxime Du Camp:
- Regardez-moi.
Il avait les cheveux teints en vert, et il ajouta avec la même tranquillité:
- Ce n'est pas commun.
A en juger par ces traits, il n'est pas surprenant que Baudelaire soit mort fou dans une maison de santé, n'ayant plus qu'une seule réponse:
- Cré nom! cré nom!
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 14 janvier 1906.
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