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jeudi 27 février 2014

Chronique du journal du Dimanche.

Chronique.

Il est des endroits auxquels tous les événements se réunissent pour attacher une sombre célébrité.
On vient de commettre un vol dans le cimetière de Saint-Aubin, à Toulouse; et c'est la troisième fois, depuis quelques années, que ce lieu consacré et assez retiré de la ville est marqué par le crime.
On se souvient de l'immense retentissement qui s'attacha au meurtre de Cécile Combette. Cette pauvre enfant du peuple, la fille d'un simple allumeur de réverbères, occupa d'elle, pendant plus de trois mois, la France entière. Son corps avait été jeté, après l'attentat commis sur elle, dans l'angle du cimetière qui touche au couvent des Frères de la Doctrine chrétienne; et, de là, vint le procès extraordinairement célèbre, dans lequel Léotade fut condamné.
Dans la rue qui longe ce cimetière et qui en porte le nom, le mois de décembre dernier, M. B..., statuaire, fut tué dans son domicile par M. P..., qui lui tira un coup de pistolet à bout portant.
Madame P... aurait déclaré à son mari qu'elle avait été victime d'un outrage commis avec violence par le statuaire B...
Sous le coup de cette cruelle révélation, le mari offensé s'est rendu dans l'atelier de l'artiste. Sans prononcer un mot, il a déchargé sur lui un pistolet dont la balle a traversé le cou de la victime de part en part, puis il s'est retiré.
Ceci rappelle l'honneur de ces femmes antiques qui ne voulaient pas qu'il eût sur la terre deux hommes pouvant dire les avoir possédées.
M. B... était tombé près du balcon de l'atelier, et son sang, qui coulait à flots, tombait jusque dans la rue.
Au pied de la table étaient les débris d'une de ses statuettes, que l'artiste tenait au moment de l'entrée du meurtrier, et qui a été frappée avec lui.
M. P... a pris la fuite. Sa femme, après des secousses si funestes, est devenu folle.
Et, le lendemain, les restes du statuaire ont été transportés dans le cimetière voisin de Saint-Aubin.
Eh bien, c'est dans ce même cimetière que se sont introduits dernièrement des malfaiteurs... on peut bien dire de la pire espèce, car il est très-mal de dépouiller ceux qui peuvent le moins se défendre. Les voleurs ont enlevé les flambeaux d'argent et autres objets précieux qui se trouvaient enfermés dans des chapelles, sur divers tombeaux.

A Paris, les habitations continuent toujours à être bouleversées de fond en comble. Comme pour faire concurrence au gouvernement, les millionnaires de nos jours achètent partout des terrains et se font élever de magnifiques hôtels.
M. Benoit-Champy, le nouveau président du tribunal civil de la Seine, fait donc ériger aussi une nouvelle et somptueuse habitation, dans la rue de la Chaussée-d'Antin.
Parmi les vieilles constructions abattues pour y faire place, se trouvait l'ancien hôtel habité par la marquise de Valory, qui au moment de la révolution, se réfugia dans une ville du midi de la France, où elle mourut presque subitement.
Il y a quelques jours, dans les travaux exécutés pour poser les fondations de l'hôtel que fait construire M. Benoit-Champy, un ouvrier, en donnant des coups de pioche pour démolir un pan de muraille, trouva enclavée dans cette maçonnerie, une armoire recouverte d'une ancienne tapisserie.
Cette armoire renfermait des robes, des châles, des dentelles, des bijoux d'un grand prix. Ces étoffes, ces dentelles, tous ces objets de toilette, étaient aussi frais, aussi bien conservés que s'ils eussent été déposées-là de la veille. On pouvait voir là une chose très-extraordinaire, c'est à dire des robes faites à la mode du siècle dernier et portant tout l'éclat des parures nouvelles.
Cette armoire avait été disposée ainsi par la marquise de Valory, qui, en quittant Paris en 89, espérait sans doute bientôt y revenir.
M. Benoit-Champy a fait aussitôt la déclaration de cette trouvaille chez le commissaire de police de la Madeleine.
Peu de jours après, le fait parvint, par la voix publique, à la comtesse de Bondy, fille de la marquise de Valory. Elle s'empressa de réclamer des objets qui lui étaient précieux comme souvenir de sa mère, et M. Benoit-Champy s'est hâté de faire droit à sa demande en lui envoyant ces parures, qui sont aussi devenus des objets de curiosité les plus rares.
L'ouvrier qui a rendu au jour ce dépôt ignoré a été généreusement récompensé.

A propos de toilette de femmes, contons un événement désastreux, arrivé à un grand dîner de la semaine dernière. Nous pouvons en garantir l'authenticité.
On sait la mode étrange, épouvantable, qui s'est introduite dernièrement dans le monde. Les femmes se peignent le visage ni plus ni moins qu'on ne badigeonne une maison; il y entre du blanc, du bleu, du rouge, les trois couleurs nécessaires pour parfaire une figure comme un drapeau national.
Donc, une dame portant à la face les trois glorieuses couleurs, arrive, à l'heure du dîner, chez madame de G... L'invitée avait eu la malheureuse pensée d'apporter au petit garçon de la maison un délicieux cheval de chocolat. L'enfant goûte au cheval, il le trouve bon, et lui mange toute la tête. dans sa reconnaissance... dont il faut lui savoir gré, car les bambins ne montrent guère cette vertu-là... il saute au cou de la dame, et lui applique deux gros baisers sur la joue.
Les lèvres du petit gourmand laissent de larges marques de la plus belle couleur chocolat.
La maîtresse de maison s'empresse; elle fait apporter à la dame une serviette de toilette et de l'eau. Mais jamais position ne fut si affreuse; il lui était impossible de garder les traces de ces malheureux baisers, et elle savait bien que, en se lavant la joue, elle emporterait son teint de lis et de rose.
Enfin, il n'y avait pas à s'en défendre, étant là sous les regards de vingt personnes. Elle prit la serviette, et enleva ensemble la peinture et le chocolat. Pendant tout le dîner, on eut le spectacle d'une femme d'une pâleur livide d'un côté du visage , et de la plus belle carnation de l'autre. 

A ce même dîner, il s'est dit un mot très-heureux.
On parlait de la discrétion des femmes pour la nier, et on assurait qu'il n'était rien qu'elle fussent sans cesse prêtes à divulguer.
- C'est une indigne calomnie! s'est écrié M. de P... Demandez-leur leur âge, et vous verrez qu'elles savent toutes garder un secret.

                                                                                                                        Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 1er mars 1857.

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