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samedi 15 février 2014

Le carnet de madame Elise.

En scène, messieurs les amateurs.

Il est indispensable que nous prenions, de temps à autre, un peu de distraction. Une assiduité constante au travail, la monotonie grise du labeur quotidien nous imprègnent d'une invincible mélancolie; mais si nous pouvons goûter parfois un plaisir vif, nous livrer à un amusement capable de changer le cours de nos pensées, le voile se déchire; nous devenons alertes, joyeux, et notre endurance au travail s'en accroît.
L'opportunité de la distraction est rarement discutée: tous les philosophes (d'accord ici avec les simples mortels, ce qui est rare) l'admettent; la difficulté réside dans la mise en pratique de ce principe.
Le premier obstacle le plus fréquent, c'est le manque d'argent; je me hâte d'ajouter qu'il n'est pas seul responsable, car nous voyons souvent des personnes fortunées se plaindre de l'ennui, la richesse non secondée par d'autres facteurs ne pouvant procurer qu'une seule sorte de distraction laissant à l'être humain un rôle passif qui le sort peu de lui-même.
Le plus grand plaisir est fourni par l'acte amusant, tenant en éveil toutes les facultés, exigeant un effort dont le résultat donne un succès.
Il est incontestable que la fortune peut multiplier les circonstances dans lesquelles ces conditions sont réunies, pourvu que son possesseur soit actif et consente à produire un effort; mais la fortune n'est pas indispensable, et nous pouvons, par notre initiative, notre ingéniosité, suppléer aux éléments qu'elle ne nous fournit pas.
Une des plus heureuses distractions auxquelles peut se livrer un groupe d'amis, de relations ayant les même goûts, le même développement intellectuel, c'est certainement la comédie de salon. L'entreprise parait compliquée, au premier abord, elle est pourtant simple et le plaisir qu'elle procure vaut bien l'application qu'elle réclame.
Avant toute chose, il faut distinguer dans la "compagnie" une personne plus instruite, plus expérimentée, que l'âge ou la situation mette en dehors des jalousies et des querelles, et lui donner le rôle de régisseur; elle mettra de la discipline dans les répétitions, veillera aux entrées, aux sorties, soulignera les intonations fausses, activera la préparation des costumes. Le choix des acteurs peut aussi lui être confié; elle connait les talents de chacun, et distribue les rôles, dans l'intérêt de l'ensemble.
Les acteurs amateurs doivent apporter beaucoup d'entrain, de bonne volonté et de bonne humeur dans leur travail; ils doivent accepter les observations et se rendre compte de leur inexpérience pour chercher à se perfectionner courageusement. Dès qu'une société amicale de compose de huit membres, dispose d'une pièce ayant cinq mètres de long sur six mètres de large, avec deux lampes, elle possède les éléments suffisants pour jouer la comédie; j'insiste sur ce point, car je connais des personnes gaies, intelligentes, ayant une diction nette, qui se privent de ce plaisir sous prétexte qu'elles manquent de local, de public, de décor.Tout cela représente l'accessoire, mais l'essentiel est suffisant pour vous amuser, ne vous en privez pas.
Il y a peu de distractions plus propres que celle-là à développer l'intelligence des jeunes gens, à leur donner de l'aisance, de la désinvolture. Allons, courage, un peu de hardiesse, vos premiers pas seront peut être gauches, les suivants seront plus gracieux.
Et dans la suite, je ne serais pas étonnée d'apprendre qu'après avoir joué les pièces des autres, vous songiez à composer vous-mêmes comédies et revues pour votre troupe.

                                                                                                        Mme  Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 21 janvier 1906.

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