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lundi 17 février 2014

Le mauvais coq.

Le mauvais coq.


Dans mon rude pays de Creuse, cette autre terre de granit recouverte de chênes, les coutumes primitives demeurent à la fois barbares et charmantes.
Ce printemps dernier, pendant que des homme venus du Nord plantaient des poteaux pour étendre sur ma bourgade la puissance de la Fée Bleue et semer des ampoules électriques sur la place, ce printemps, les gars de Peyrat-la-Nonière conjuraient un sort fâcheux entre tous. Ils tuaient le mauvais coq!
Pour les joueurs de vielles et pour les marchandes de belles coiffes en dentelle, l'hiver s'était montré plus qu'inclément. Il n'avait pas fait un seul mariage. Ailleurs, c'est le printemps qui fiance et unit. Chez nous, on ne peut prendre femme qu'entre la récolte des raves et la fauchaisons des foins. On se marie, faute d'autre besogne.
Les filles, qui ne cachaient pas leur dépit, supplièrent les gars du bourg de mettre à mort le mauvais coq. Elles ont appris le catéchisme, l'histoire de France et même le "pas de quatre"; mais elle ne sont pas loin de croire que la présence d'un cocorico mauvais mari, entrave toutes les affaires matrimoniales d'une paroisse.
Sans doute il est difficile de découvrir le chante-clair qui chante faux. Mais la tradition indique qu'il suffit de mettre à mort avec solennité un seul "Jô" (ce mot vient-il de gallus ou de Jos (Jupiter)?) pour que les vielles, pavoisées de foulards multicolores, conduisent à la mairie des douzaines de "filles en retard".
Cette année, mes jeunes compatriotes ont célébré le "mystère" païen appris des vieux pour le transmettre un jour à leurs enfants.
Ils ont saisi sur un fumier un grand coq noir, très fier de sa toque rouge à créneaux et de son panache aux longues plumes retournées en yatagan, bleutées de tons métalliques. La bête a été "pillée", puis suspendue dans des flots de rubans au bout d'une perche. Et, triomphalement, en cortège, les gars ont exhibé la dépouille sanglante du mauvais mâle. Devant les maisons où les filles "espèrent" un galant, ils faisaient halte, criant en leur patois limousin:
- E mouô le chêti jô!...E mouô le chêti jô! Maridarin! Maridarin! (Le mauvais coq est mort!Nous nous marierons! Nous nous marierons!)
J'ai vu passer sous mes fenêtres le "cocorico" sorcier qui pleurait sur les païens du XXe siècle des becquées de sang. Les gars le portaient à l'auberge pour festiner sa chair, selon la coutume ancienne. Seuls, les jeunes hommes à marier peuvent prendre part à ces archaïques agapes.
Puis défilèrent devant ma maison les jolies coiffes de mousseline, mais une à une. Les filles s'en allaient de ce pas, de cette attitude que les femmes adoptent pour aller à confesse.
Les petites sournoises avaient résolu, pour mieux conjurer le mauvais sort, de revenir, elles aussi, aux mœurs celtiques. Et, dans l'auberge où les gars criaient: Maridarin, maridarin!, elles mirent à mal, à petits coups de fourchette un peu rageurs la mauvaise poule!

                                                                                                                         Léon Roux.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 28 janvier 1906.

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