Le code civil commenté par M. Paul Deschanel.
Depuis que M. Paul Deschanel n'est plus Président de la chambre, il a des loisirs; et pour les occuper utilement et académiquement, le jeune immortel a écrit des Commentaires du Code civil. Mon Dimanche, qui va partout, a pu s'introduire nuitamment dans l'imprimerie où se compose dans le plus grand secret l'ouvrage de M. Paul Deschanel, et a réussi à en dérober quelques fragments; mais comme le larcin a été commis au milieu des ténèbres les plus complètes, nous sommes obligé de faire quelques réserves sur l'authenticité absolue des fragments que nous citons.
Art. 214.- La femme est obligée de résider avec le mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider; le mari est obligé de la recevoir et de lui fournir tout ce qui lui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son métier.
Ce droit du mari de pouvoir traiter à sa suite son épouse bien-aimée est exorbitant.
Supposons que, vexé de recevoir les éclaboussures de l'omnibus et de la vie, il lui pousse la fallacieuse turpitude de loger à Carpentras ou sur les toits. Eh bien! quelque stupide que soit cette lubie, la femme devra la subir avec mansuétude et tous ses rejetons. Dura lex, sed lex.
Maintenant si la femme, par caprice ou par habitude, se laisse tomber d'un sixième ou en faiblesse, le mari est contraint de la recevoir dans ses bras.
Ici encore, la nécessité est aussi violente que la commotion qu'il recevra en même temps que son épouse.
La dernière prescription est de droit naturel.
Le mari ne doit pas lésiner lorsque sa femme lui demande mille vétilles de peu d'importance, telles que de la galette du Gymnase ou un bracelet, des jarretières ou quelques obligations de la Ville de Paris, des crêpes en pâte ou de Chine, etc.
Remarquons que la femme observe cette consigne du législateur avec une fidélité digne des plus grands éloges.
Art. 389- Le père est, durant le mariage, administrateur des biens personnels de ses enfants mineurs.
L'huissier le plus arriéré peut saisir le sens de cet article. Il importe seulement de savoir quelles choses forment la masse des biens d'un Français, qui n'a pas encore dépouillé la robe prétexte.
Ils comprennent en général:
1° Une lanterne magique.
2° Un cygne aimanté.
3° Un pantin articulé.
4° Une flotte en bois blanc.
5° Un sabre en fer non moins blanc.
6° Une bonne, doublée d'un militaire, etc, etc...
Toute cette bimbeloterie constitue le plus clair de la fortune d'un mineur, et ce n'est pas une petite affaire, pour un homme sérieux, que d'administrer une propriété pareille.
Ainsi, par exemple, qu'en un jour de tempête la flotte vienne à sombrer dans le bassin des Tuileries ou du Luxembourg, le père, en qualité d'administrateur des biens de son rejeton, devra opérer le sauvetage à ses risques et périls.
Ainsi du reste.
Art.390- Après la dissolution du mariage, arrivée à la mort naturelle ou civile de l'un des époux, la tutelle des enfants mineurs et non émancipés appartient de plein droit au survivant de père ou mère.
C'est ici le moment de définir la tutelle. Justinien explique fort judicieusement la chose dans les Institutes, titre XIII, livre 1er. Voici ses expressions:
Est autem tutela vis in capite ad tuendum eum qui se defendere requit ( que l'on traduit par: La tutelle est une vis que l'on enfonce dans la tête (in capite) pour tuer (ad tuendum) celui qui ne peut de défendre.)
Cette définition est ambiguë, comique ou complètement inintelligible. C'est là son avantage.
Première annotation.
La majorité est la terre promise du pupille.
Il s'y dédommage des privations souffertes dans le désert de la minorité.
Deuxième annotation.
En ménage, la survivance est une médaille dont la tutelle est le revers.
Art.476- Le mineur est émancipé de plein droit par le mariage.
Rien de plus vrai, car en agissant ainsi, il commet parfois ce que nous appellerons, si vous le voulez, une bêtise.
Ne vaut-il attendre que la mâchoire soit illustrée de ses dents de sagesse? C'est le meilleur moyen de ne pas se faire mettre dedans.
Art. 102- Le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où est son principal établissement.
Le domicile d'un pochard est donc, en partant de ce principe, chez le marchand de vins, car c'est bien là, en effet, son principal établissement.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 28 juin 1903.
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