Translate

mercredi 5 février 2014

Le scandale de Londres.

Le scandale de Londres.


Londres, sinon au point de vue matériel, du moins moralement, est depuis quelques semaines en révolution. La cause de ce mouvement qui, pour les Londoniens, dépasse en intérêt l'affaire Dreyfus elle-même, et Dieu sait pourtant si l'on s'en occupe ici, est le Lobengula's marriage, que la presse anglaise désigne sous le nom de Black scandal, le scandale noir.
Il s'agit d'une jolie personne, appartenant à la meilleure société, miss Florence Kate Jewell, et qui vient de convoler en justes noces avec un abominable nègre, amené à Londres par un imprésario. Ce noir s'affuble, il est vrai, du titre de prince: le prince Lobengula.
Jusqu'ici cette mésalliance n'aurait pour inconvénient que ravaler une jolie fille au rang de squaw... mais où le scandale commence, c'est lorsque l'on apprend que Lobengula appartient à la race des Kaffirs, ces bushmen du Sud de l'Afrique, particulièrement méprisés par les Anglais et les boers.
Les organes anglais poussent des cris de paon et menacent de tout casser, même Kruger, si le couple reparaît dans Londres ou dans tout autre ville anglaise.
Je suis allé chez miss Jewell, mais elle ne veux plus voir les reporters. Néanmoins, je n'ai pas entendu me contenter du portrait banal publié par les quotidiens anglais, et j'ai obtenu de Watson, photographe de Newgate street, dont l'amabilité est à toute épreuve, qu'il vous envoie le portrait des deux époux.



Dans tous les grill-rooms de Londres, les yeux britanniques pleurent cette défaite de l'orgueil anglais. Ma chamber maid, en m'apportant mes bottines, me disait ce matin avec un gros soupir:
Miss Jewell épouse this negro; c'est en fait du respect de la femme en Afrique.
Si l'épousée veut rester à Londres, elle n'aura qu'une ressource: se faire teindre et devenir négresse. Comment croire en effet, qu'elle puisse encore, après un coup aussi noir porté à l'amour-propre national, se présenter dans un salon et surtout y être reçue. En admettant, par impossible, qu'une dame de la société consente à braver l'opinion et à recevoir miss Florence Kate Jewell (shoking!) à ses five o'clock, il lui sera impossible d'entre au salon en compagnie de son époux. Les valets de pied ou le maître d'hôtel arrêteraient inévitablement celui-ci dans l'antichambre et le retiendraient pour servir les rafraîchissements.
Mais si cet amour est aussi éperdu que celui qui poussa une princesse authentique dans les bras d'un tzigane, à quoi serviront toutes les admonestations, tous les blâmes de la terre! C'est égal!
Poor, poor English!...

La Vie Illustrée, 7 septembre 1899.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire