Dis-moi quels légumes tu manges et je te dirai qui tu es.
Un médecin très connu vient de soutenir, à un congrès de pathologie générale, des théories inattendues et bien curieuses, touchant l'influence des différents légumes sur le cerveau, le caractère et la sensibilité.
Il est très intéressant de voir la science moderne revenir aux idées de l'antiquité. Sans doute, nous ne croyons plus, comme les sauvages de l'Afrique centrale, que l'homme acquiert aussitôt les qualités de l'animal qu'il mange. Nous ne pensons pas qu'en mangeant du lion nous pouvons devenir courageux; qu'en mangeant du renard, nous pouvons être d'une ruse et d'une roublardise achevées.
Il n'en est pas moins vrai que les aliments que nous absorbons influent considérablement sur notre caractère. La meilleure preuve n'est-elle pas les transformations que l'usage de l'alcool provoque chez tous les hommes.
Mais il est des modifications du caractère plus délicates et plus nuancées, et qui sont moins évidentes parce qu'elles sont plus lentes à se produire et qu'elle sont beaucoup moins violentes.
Ainsi les légumes, si nous n'en varions pas l'usage, si nous ne les mélangeons pas au cours de nos repas, seraient capables, paraît-il, d'exercer à la longue une action très réelle sur notre sensibilité et notre esprit.
Si nous en croyons le grand médecin dont nous parlions à l'instant, la pomme de terre développerait les qualités raisonnables, l'équilibre de l'esprit, le calme de la pensée. Mais son usage provoquerait à la longue une sorte d'apathie et d'indifférence. Les gros mangeurs de pomme de terre auraient plus de raisonnement que de cœur.
La carotte donne bon caractère. Elle est à recommander aux bilieux, aux rageurs. Depuis longtemps déjà les médecins la prescrivent pour les maladies de foie, et le menu des tables d'hôte, à Vichy, où les malades du foie vont se faire soigner, comporte toujours un plat de carottes. Donc, si vous êtes jaloux, atrabilaires et rancuneux, mangez des carottes. Vous deviendrez tout aussitôt aimables à vivre, bienveillants et de rapports faciles.
Les épinards développeraient les rêves ambitieux, l'énergie, la constance de la volonté. Les grands mangeurs d'épinards seraient tous des hommes d'action.
L'oseille, en dépit de son acidité, conduirait au découragement, à la tristesse. Elle provoquerait des cauchemars pénibles et des sommeils peu réparateurs.
Les haricots verts et les crosnes du Japon sont des aliments délicats, qui excitent aux rêveries aimables, qui développent les pensées et les sentiments artistiques.
Quant aux haricots blancs, ils seraient à recommander tout spécialement à tous les travailleurs, travailleurs manuels et travailleurs intellectuels. C'est un aliment réparateur du système nerveux, plus riche et plus tonique que la viande elle-même. Si vous voulez être résistants, robustes et capables de grands efforts de pensée, mangez des haricots blancs.
Les petits pois ne valent rien pour le sérieux de la pensée. Ils développent les pensées futiles, les sentiments légers, la coquetterie et la frivolité chez la femme. Il faut se méfier des hommes et des femmes qui aiment trop les petits pois.
Les choux-fleurs et les choux seraient assez nourrissants, mais auraient de graves inconvénients. Ils donnent aux caractères une certaine lenteur, aux sentiments, une certaine vulgarité. Ils conduisent tout droit à l'égoïsme, à la mesquinerie, à l'étroitesse du caractère.
D'ailleurs, l'auteur de cette curieuse monographie veut parler seulement de l'usage exclusif et abusif de ces différents légumes. En les corrigeant les uns par les autres, ce que nous faisons tous, nous utilisons leurs qualités et nous ne pâtissons pas de leurs inconvénients.
Nos loisirs, n°16, 19 avril 1908.
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