Le jeune homme qui entre en ménage, rêve avant tout d'inspirer à sa femme un amour profond; et sa tendresse réclame le don d'une égale tendresse.
Mais par quel procédé fera-t-il naître cet amour inébranlable? Il sait bien que le doux émoi de la fiancée est un sentiment artificiel entretenu par ses madrigaux, ses bouquets, ses promesses ardentes. Dans le tête-à-tête domestique, cet attachement romanesque ne subsiste guère, il s'envole au contact de la réalité, et c'est alors qu'il faut poser les bases profondes d'une solide affection. Comment s'y prendre?
"Il faut aimer vraiment sa femme pour s'en faire aimer" déclarent les moralistes; le conseil est bon, mais concis; il faut savoir aussi de quelle manière il convient de lui manifester sa tendresse pour provoquer la sienne en retour.
Le mari est un peu gauche devant cette jeune femme dont il connait mal les aspirations et les goûts; il veut lui plaire et l'excès même de sa bonne volonté le rend souvent maladroit.
Tout naturellement le jeune époux, indécis, se donne une règle de conduite héroïque, celle de satisfaire aveuglément toutes les fantaisies, de prévenir tous les caprices de sa femme; il se constitue son esclave.
Mais sa patience se lasse vite à ce jeu, d'autant plus que la jeune femme, éblouie par cette suprématie, prend peu à peu une âme de despote.
L'époux ombrageux estime bientôt qu'elle abuse de sa tendresse et qu'il est dupé. "Désormais, se dit-il, je saurai lui faire sentir le poids de ma volonté; les femmes ne savent être aimantes que pour ceux qui les brutalisent."
Alors, il devient dur, cassant, injuste même; et la jeune épouse apeurée se fait souple, pour reconquérir une affection qui semble lui échapper; elle plie, mais elle se trouve très malheureuse de cette transformation et, surtout, elle n'aime pas.
Pour qu'un mari réussisse à inspirer un amour solide, il ne doit pas s'attacher à réaliser l'idéal de sentimentalisme un peu mièvre que la jeune fille s'est créé dans ses longues rêveries; mais plutôt à incarner l'idéal de bonté ferme qu'elle souhaitera, dès qu'elle connaîtra la vie et comprendra nettement la noble solidarité de leur union.
Les petits soins doux, les attentions délicates et incessantes plaisent certainement à une femme; mais l'homme qui s'attache uniquement à prévenir ses désirs lui semble vite inférieur.
Il faut que l'admiration et une sorte de respect se mêlent à sa tendresse pour la rendre durable. Celui qui se pose en être pensant et raisonnable, qui envisage l'avenir avec clairvoyance, qui travaille courageusement, qui impose à son ménage des habitudes d'épargne, qui, en un mot, sait prendre sa place dans le mariage, inspire par sa sagesse même une plus profonde affection; il assume un rôle de mentor qui le grandit; sa jeune femme l'aime avec confiance, abandon et respect, il est pour elle un sûr appui, un ami, un guide.
Cet amour un peu grave doit s'égailler de quelques tendresses plus joyeuses et plus câlines; de temps à autre, il faut que le mari sache dire de ces riens délicieux qui réjouissent le cœur par un mot affectueux, il exprime à sa jeune épouse la joie que lui cause sa présence; il sait lui prouver qu'il tient compte de ses aspirations, de ses goûts. Les gâteries, le badinage gracieux seraient fades par la continuité; mais, espacés, ils viennent égayer d'un plus clair rayon la solide gravité de l'affection.
Un mari ne saurait prendre trop de peine pour inspirer à sa femme un profond amour, car cette vigilante tendresse sera pour lui, durant toute sa vie, une consolation, un refuge et un soutien.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 avril 1903.
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