Les chambres de commerce des villes maritimes réunissent en ce moment des signatures afin de demander à la conférence maritime internationale, qui aura lieu l'automne prochain à Washington, d'examiner la question très importante des épaves flottantes qui se trouvent sur le passage des navires et qu'il est urgent de faire disparaître. On cite à ce sujet l'exemple d'une goélette américaine, W. L. Withe, qui avait été abandonnée le 13 mars dernier au large de la baie Delaware. L'équipage ayant été recueilli, le navire fut abandonné avec ses mâts, une partie de ses voiles établies et son pavillon en berne. Assaillie par un coup de vent de nord-ouest, la goélette dériva dans le sud-est jusqu'au Gulf-Stream. Une fois là, le courant l'entraîna vers l'est et lui fit traverser les parages fréquentés par les lignes de vapeurs à destination des principaux ports des Etats-Unis, et, ce n'est qu'après avoir dérivé ainsi environ pendant dix mois et dix jours sous l'action des vents et du courant que la malheureuse goélette finit par aller s'échouer sur une des îles de l'archipel des Nouvelles-Hébrides.
Le trajet parcouru par ce navire abandonné est intéressant à étudier et l'on se rend compte du danger que ces sortes d'épaves font courir aux navires qui peuvent les aborder pendant la nuit ou en temps de brume. D'après une des dernières cartes ( Pilot-Charts) publiées par le service hydrographique des Etats-Unis, il n'y avait pas moins de 26 de ces épaves dont la position approximative était signalée.
L'épave de la goélette W. L. Withe a décrit un parcours en zigzag très prononcé entre le 44e et le 51e degré de latitude Nord et le 33e et le 44e degré de longitude Ouest de Grennwich, depuis le commencement de mai jusqu'à la fin de novembre. Avant cette époque, l'épave avait suivi une direction à peu près est-nord-est, à la vitesse moyenne de 32 milles par jour. Sa direction fut ensuite est et nord-est sur un parcours de 1.260 miles en 84 jours (soit 15 milles par 24 heures) ; mais pendant ce long intervalle de six mois, elle se maintint dans une étendue relativement restreinte, tantôt rejetée dans le courant polaire du Labrador et tantôt dans celui du Gulf-Stream par des vents variables, où elle constituait un danger permanent pour les paquebots transatlantiques. Elle fut aperçue le même jour par 3 paquebots et elle fut rencontrée par 30 navires dans l'espace de six mois.
Pendant ces dix mois et dix jours, elle parcourut plus de 5.000 milles, fut aperçue quarante cinq fois et chaque fois sa position fut signalée par les Pilot-Charts. Nul ne peut dire qu'elle n'a occasionné aucun sinistre; le contraire est plutôt probable.
En présence des dangers occasionnés par ces épaves flottantes en plein océan et dans les parages les plus fréquentés, le Maritime Register, de New-York, s'est demandé pourquoi les gouvernements intéressés ne s'entendaient pas entre-eux pour expédier quelques navires de guerre chargés de les détruire non seulement dans l'intérêt du commerce mais surtout dans un but humanitaire.
Il est donc à souhaiter que la pétition des chambres de commerce des villes maritimes soit favorablement accueillie par la conférence de Washington et que la question des épaves y soit définitivement résolue, soit que l'on se rallie à la proposition du Maritime Register, soit que l'on s'arrête à un autre moyen.
Journal des Voyages, dimanche 5 mai 1889.
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