Depuis un siècle, les émancipations les plus inattendues ont surgi de tous côtés dans notre société, et ceux dont la vie était faite d'obéissance ont secoué le joug.
Les enfants, régis autrefois par la férule paternelle, devaient aussi profiter de cette indépendance générale; l'air ambiant les a gagnés, et ils ont pris, à leur tour, une attitude de bravade. Le projet étant indistinct dans leur vague cerveau, des esprits plus mûrs et des logiciens plus serrés se sont chargés de formuler leurs revendications. Ils ont dit:
"Sous prétexte d'élever les enfants, on les opprime et on les contraint: on règle leur conduite comme on apprend au petit chien à faire des tours, sans leur rien expliquer; ils avancent en aveugles sur un chemin traçé par d'autres, avec l'appât d'une sucrerie ou la crainte d'un pensum comme stimulants. Dans tout cela, où est l'être pensant ? On brise le ressort et on le fausse, et l'on produit inévitablement des individus veules ou hypocrites. Le choix de leur carrière ne leur appartient même pas; on les engage dans la vie qui convient aux parents, aux grands-parents, aux collatéraux: les moules sont prêts, on y coule en bloc toute cette matière malléable qui aurait pu produire quelques énergies vigoureuses, quelques génies; on n'en retire qu'une fournée homogène de fonctionnaires ou de négociants identiques à leurs prédécesseurs."
Ce vraisonnement, qui souligne des plaies indéniables de notre civilisation, a frappé bien des parents sérieux, d'autant plus qu'il invoque en témoignage les heureux résultats de l'éducation américaine.
Tout d'abord, et ce fut le premier échelon de la réforme, on expliqua aux enfants chaque ordre, on justifia, à leurs yeux, la sévérité; l'effet produit fut celui-ci: rendre l'éducation plus longue et plus verbeuse. Les petits bonhommes, admis à juger les méthodes qu'on leur applique, ergotent indéfiniment pour excuser leurs peccadilles ou étendre leurs privilèges
En second lieu, on s'efforça de les rendre libres, libres de dire leurs goûts, de suivre leur penchant, de discuter, libres de traiter leurs parents en égaux, libres de ne plus se contraindre dans les rapports sociaux.
Le résultat ? Moins de respect, de tenue, moins de travail aussi, un égoïsme plus épanoui et plus féroce.
Tous ces fâcheux effets sont tangibles; il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas les constater chez la jeune génération actuelle; seulement il faut remarquer qu'ils découlent non de la méthode nouvelle, mais de la façon incomplète dont elle est appliquée.
En donnant à notre enfant cette grande liberté, il fallait lui inculquer le sentiment net de sa responsabilité; peut-il faire rien de bon de cette indépendance, si les conséquences de ses actes ne lui appartiennent pas ?
Nous lui accordons une liberté américaine; mais, dès qu'il a commis une faute, nous somme là avec une tendresse toute française pour la réparer et pour le consoler.
L'expérience ne pourra jamais l'instruire et, dans ses mains, la liberté ne sera jamais qu'un instrument dangereux.
Si, au contraire, nous lui laissons supporter l'inconvénients de ses résolutions, il sera averti; la liberté lui donnera cette éducation personnelle, si énergique, si vigoureuse.
Bien entendu, les parents ne ménageront ni leur tendresse, ni leurs conseils; mais, au lieu de se substituer à la personnalité de leur enfant, ils aideront à son complet développement.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 février1903.
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