Dans ses lettres à Françoise, M. Marcel Prévost, étudie la grave question du mariage, non du mariage mondain, riche, mais du mariage moyen, bourgeois; les conseils qu'il donne à Françoise peuvent convenir à toutes les jeunes filles, et nos jeunes lectrices seront sûrement intéressées de recevoir avec Françoise les avis d'un bon écrivain pour arriver au bonheur dans le ménage.
La jeune fille va passer quelques jours à Châteauroux. Son fiancé, un jeune officier, y est en garnison. Elle va choisir la petite maison qu'ils habiteront.
Les jeunes gens entreront en ménage avec 8.000 francs de revenu, c'est peu, mais l'amour, la vie simple et forte, l'obscurité dans le bonheur, l'insouciance de la jeunesse valent mieux que les rentes et la célébrité.
Marcel Prévost écrit à Françoise pour la conseiller et la rassurer sur la vie.
Il envie leur bonheur et leur médiocrité. Ceux qu'il plaint, ce sont les jeunes gens qui se mettent en ménage avec de grosses fortunes.
" J'éprouve une pitié sincère pour la plupart de ces couples de "grands mariages" dont Paris nous offre le spectacle presque quotidien. Pauvres jeunes gens ! En additionnant leurs âges, à peine ils dépassent la quarantaine, et déjà on les condamne à vivre dans le maximum du luxe et du confort, avec un nombreux appareil domestique, le harassement de recevoir et d'être reçu, le souci d'avancer dans la fortune, dans les places ou simplement dans le monde. On leur impose les soins et les régimes qui conviennent merveilleusement, mais exclusivement, à la maturité. En somme, on leur escamote la jeunesse, la précieuse, irremplaçable, divine jeunesse. On leur vole dix ou quinze ans de vie sentimentale, pour leur offrir en échange dix ans de la vie d'affaires, dont ils connaîtront toujours assez tôt le vide décevant. On les prive même, dans cette vie d'affaires, du seul condiment qui l'assaisonne: la sensation de grandir, de progresser. Tout de suite, ils ont tout.
Pour être heureux, vivons cachés.
" Aussi, chère Françoise, je considère, sans paradoxe, que c'est un grand honneur pour Maxime et pour vous de n'être point riches, de n'être nullement des personnages en vue, et d'installer votre foyer dans une des plus insignifiantes ville de la province française...La miséricordieuse destinée vous préserve même de la tentation somptuaire ! Avec vos huit mille livres de revenu et les commodités de la vie militaire, vous ne saurez souffrir, à Châteauroux, de comparaisons humiliantes; mais aussi ne pourrez-vous entreprendre d'étonner l'Indre par l'éclat de votre luxe. Donc, il ne sera pas question de luxe dans votre nid. Il ne sera pas non plus question d'ambition, hors celle, modeste, que Maxime soit en temps utile maintenu au tableau... Heureux enfants ! Vous n'aurez qu'à penser l'un à l'autre, vous aimez sans distraction ! Heureux, trop heureux enfants !
Le trousseau pratique.
" Pour en venir aux conseils pratiques que vous sollicitez sur votre installation et même (faut-il que je sois assez un vieil oncle de tout repos !) sur votre trousseau, je recommande, naturellement, une grande simplicité conforme à votre âge et à vos ressources. Mais qui dit simplicité ne dit pas laideur ou vulgarité, et sur la façon d'être simple, il faut encore s'entendre.
" Prenons, par exemple, la question du trousseau. Comment simplifier le trousseau ? Premièrement en excluant le linge, les toilettes et les bijoux d'un prix excessif, d'un prix en désaccord trop manifeste avec votre jeunesse et votre revenu. Je vous préviens que, si j'aperçois dans le dit trousseau le "jupon de cinq cent francs" dont périodiquement nous entretiennent les gazettes, je le déchire sous vos yeux.
"Seconde manière de simplifier le trousseau: en diminuant la quantité. Ce moyen, le plus sûr et le plus facile, vous permet, malgré vos ressources restreintes, de n'acquérir tout de même rien de laid. Jamais, jamais, jamais, sauf les cas d'indigence, on est excusable d'acheter pour son usage quelque chose de laid. Réduisez donc au large nécessaire, sans plus, votre lingerie et vos costumes. Grâce à cette réduction, ne composez l'un et l'autre que d'éléments choisis et jolis, sinon de grand luxe et de grand prix.
Point de luxe.
" Le même principe vous guidera dans l'installation du foyer. Choisissez une petite maison, mais agréable à l'oeil et bien située. Vous avez déjà constaté, pendant les mois de Rosny-sur-Mer, qu'un très grand bonheur peut tenir en très peu d'espace. Je veux que votre jeunesse, votre amour, votre qualité de "débutants dans la vie" soient exprimés par l'exiguïté relative du logis. A quoi bon tant de place, si le bonheur consiste à être tout proches l'un de l'autre ? D'ailleurs, une petite maison exige moins de meubles, moins de tentures, moins de rideaux, et le service en est plus aisé. Votre maison sera donc mieux tenue avec le personnel domestique restreint dont vous disposez et, comme pour le trousseau, achetant moins de choses, vous pourrez ne point admettre de laides choses ni de vulgaires.
Pas de provisoire.
" Pour vous guider dans vos choix, je vous propose une règle très simple. Choisissez toujours les objets de votre ménage, nouveaux, de façon qu'ils ne déparent jamais la maison, quand celle-ci sera plus ample et que vous, les habitants, serez plus vieux et plus considérables. Il est aisé, soit avec les exemplaires simples des styles anciens, soit avec ceux de styles nouveaux qui ne visent pas à l'extravagance, de s'entourer à peu de frais d'un décor agréable et durable. Durable: c'est important. Méprisons les gens qui changent à tout propos de mobilier ! Ils n'ont pas le sens du foyer. N'installez que trois pièces de votre maison si l'argent vous manque, mais n'y tolérez rien de vulgaire, sous prétexte de provisoire. D'ailleurs, avec une personne de votre goût on peut être tranquille.Je ne verrai pas dans votre salle à manger le buffet Henri II du faubourg Saint-Antoine, orné de perdreaux en saillie sur les panneaux, ni les affreux rideaux en faux velours, ni les imitations de tapisseries, ni tout le luxe à bas prix, aussi répugnants que les " complets confection" des grands magasins. Vous ne choisirez que des choses jolies. Il suffit de vous mettre en garde contre la tentation de les choisir trop luxueuses, ou d'en vouloir trop.
" Donc trousseau restreint, ne contenant nulle pièce vulgaire, mais dont nulle ne vise à étonner par son prix excessif; logis point trop grand, dont les dimensions et le décor expriment l'état de fortune, l'âge et la situation des habitants, mais où chaque objet soit, autant que possible, adaptable à l'accroissement progressif du ménage: telle me paraît être la formule qui convient au cas du jeune Despeyroux. Vous éviterez ainsi l'effort ridicule, malsain, de paraître au dessus de vos ressources, ce qui est une faute d'harmonie et par suite une laideur. Vous éviterez cette autre erreur de goût et de sentiment dont témoigne l'installation "provisoire" de certains nouveaux mariés. Le foyer, fût-il d'un militaire, doit exclure le provisoire. Les choses destinées à être témoin de votre premier bonheur d'épouse méritent d'être ensuite précieusement conservées: donc il les faut assez jolies dans leur simplicité pour qu'elles vous tiennent compagnie toujours, sans vous déparer jamais.
Marcel Prévost.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 janvier 1903.
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