Translate

lundi 14 octobre 2013

La Cour des Miracles.

La Cour des Miracles ressuscite.


Tout le monde a entendu parler de la Cour des Miracles, ce quartier général des mendiants parisiens au XVe siècle que Victor Hugo immortalisa dans Notre Dame de Paris. La Cour des Miracles n'est point morte, elle s'est simplement transformée et déplacée, car c'est Londres qui a surtout de nos jours l'honneur de la posséder et de se faire exploiter par elle.

La profession de mendiant à Paris nourrit fort bien son homme. Certains postes de mendigots, sous le proche des églises, valent davantage que la plupart des charges d'huissiers en province. On sait d'ailleurs, que les pauvres de Saint-Sulpice, ou de toute autre paroisse, forment des syndicats très agressifs qui ne permettraient pas au premier mendiant venu de tendre la main sur le champs de l'aumône qu'ils exploitent depuis de longues années.
A Londres, les professionnels de la mendicité cherchent moins à exciter la charité chrétienne des passants que leur sentimentalité et leur chauvinisme. Pour ce faire, ils emploient divers trucs, dont quelques-uns ont déjà servi chez nous. Dans l'art de duper les foules, il est vrai, les plus vieux procédés sont toujours les meilleurs !

Peintures à métamorphoses.

Voyez ce vieillard assis devant une palissade. Il ne tient pas de discours importuns aux flâneurs, mais porte ostensiblement sur la poitrine un tableau qui représente l'accident où il perdit une de ses jambes. La toile, violemment peinte, décrit une explosion de chaudière à bord d'un navire. Un matelot est projeté en l'air dans le jaillissement des flammes et des éclats de fonte. Sous le malheureux, mutilé, sanglant, une jambe s'étale dans une flaque de sang.
Hier ce vieux bonhomme avait été blessé par une locomotive. Demain, il se fera renverser par un omnibus pour sauver un enfant !



Il change de tableaux selon les quartiers qu'il exploite. Mais, détail curieux, il est privé de sa jambe droite et toutes les peintures qu'il exhibe aux passants racontent comment il perdit sa jambe gauche.
A un autre! Celui-ci expose une oeuvre terrible. Dans une salle d'hôpital, une dizaine de médecins entourent un pauvre diable étendu livide, sur la table d'opérations. Les savants chirurgiens sont armés de couteaux propres à dépecer un boeuf. Une mare de sang submerge peu à peu les dalles claires de la pièce.
- Qu'est cela ? interrogent les badauds.
Lors, le mendiant fait signe qu'on lui a coupé la langue. Il ouvre la bouche, une bouche rouge...rouge...horrible et veuve de sa langue, puis tire de sa poche un flacon où dans l'esprit-de-vin nage un lambeau de chair.




Approchez-vous et vous verrez que le muscle conservé dans l'alcool bêla longtemps au service d'un mouton.
N'accusez pas le rusé compère d'être un faux mendiant. Il saurait bien retrouver sa langue pour vous traiter de crétin. Car il n'est pas sans langue, le pauvre mutilé ! Son appareil à injurier les gens se cache, modeste, sous un morceau de caoutchouc rouge estampé de manière à représenter " le plancher de la bouche" et à produite l'impression horrible que vous avez ressentie.


L'homme qui meurt de faim.


Le truc de la fausse langue ne peut servir longtemps dans la même ville. Eventé, il mène, d'ailleurs, son mendiant en prison.
Plus amusante est la trouvaille du "pouilleux" qui se poste dans un quartier élégant et fait mine de dévorer les croûtes crasseuses qu'il extirpe, une à une, de son gousset.
Quand survient une dame élégante, le pauvre hère laisse tomber sur le trottoir une bouchée de sa nourriture hideuse, puis se précipite pour la ramasser comme un chien affamé s'empare d'un os de côtelette rencontré dans le ruisseau. Cette scène de la faim, jouée par un acteur à mine bien souffreteuse, rapporte souvent quatre ou cinq francs par cliente. Comment accuser de supercherie un homme qui mange avec tant d'appétit des rogatons malpropres.
Parmi les infirmités qui attendrissent le plus sûrement les Anglais, citons la " paralysie crépitante". Les mendiants qui emploie ce truc à Londres correspondent assez exactement à nos fiévreux parisiens. On sait en quoi consiste le métier de fiévreux. En été comme en hiver, le mendiant se campe sur le trottoir et paraît aussi agité de tremblements que le feuillage d'un bouleau. Seul le passage d'un policeman peut délivrer l'homme, pour un instant seulement, des frissons qui secouent sa maigre échine.
La danse de Saint-Guy ne rapporte plus rien.
Le cul-de-jatte fait encore d'assez bonnes recettes. Mais les mauvais plaisants rendent la profession de plus en plus difficile.



Certains Anglais facétieux s'arrêtent près d'un tronc d'homme qui se traîne au raz du sol, puis après avoir échangé des propos indifférents, semblent regarder de loin quelque spectacle de la rue particulièrement intéressant.
- Qu'y a-t-il donc ? demande l'un d'eux.
- Baste ! Peu de chose ! Ce sont des policemen qui arrêtent des faux mendiants.
L'effet de ce petit dialogue se traduit par la fuite rapide du mendigot qui a retrouvé ses jambes dans le coffre minuscule de sa petite charrette.

Patriotiques pancartes.

Mais les vrais roublards sont ceux qui savent exploiter le chauvinisme des sujets d'Edouard VII. Ils se disent victimes des guerres qui ont fait la " toujours plus grande" Angleterre.
Ces coquins exhibent une pancarte jaunie sur laquelle on lit des vers que l'on peut traduire ainsi:

                                                Les ennemis de ma patrie, visez au coeur et visez bien !
                                                Les misérables ! les maladroits ! Ils ont tirés à la tête.
                                                Je ne suis pas mort et je n'ai pas de pension !
                                                Les ennemis de mon pays m'obligent à mendier mon pain
                                                                                    De chaque jour.

Jadis, cet éloquent argument était fixé sur le torse d'un ancien soldat "fusillé, disait-il, par les Français à la veille de Waterloo." Il servit ensuite à une armée de Zoulous. Et il rend encore de très grands services aux nombreux éclopés qui prétendent avoir reçu toutes les balles d'une troupe de Boers que commandait de Wett lui-même.
Les hommes et les guerres ont changé. La pancarte dit toujours les mêmes lamentations du pauvre "fusillé"
On se les transmet de père en fils; c'est un héritage précieux qui sert à gagner des rentes.
Mais le plus délicieux est l'écriteau qui porte sur chacune de ses faces une inscription différente. L'homme qui le promène est aveugle dans les faubourgs ouvriers et sourd-muet dans les riches quartiers. Il a remarqué que la pitié des riches est acquise aux sourd-muets tandis que les aveugles, de préférence, apitoient les "gens du commun". C'est très ingénieux, très pratique. Et les gros sous doivent tomber dru dans le gobelet de ce véritable citoyen anglais.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 29 mars 1903.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire