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dimanche 19 octobre 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.


On a tous les jours sujet à s'entretenir de l'enchérissement excessif, étourdissant, des loyers; car il n'est personne au monde que cela ne touche; il faut à chacun sa coquille, grande ou petite, pour s'abriter; mais voici un habitant du faubourg Montmartre qui a pris la chose trop au sérieux.
Il allait changer de logement, et on ne s'inquiétait point de lui voir faire de longues courses et rentrer l'air fort soucieux de n'avoir pas trouvé d'appartement, vu qu'il n'y en a point. Enfin, avant hier, les personnes de la maison remarquaient que, au lieu d'aller courir les écriteaux comme les jours précédents, il n'était pas même descendu de sa chambre. Son fils, qui habite la même maison, s'inquiéta, força la serrure de la porte d'entrée, et trouva son malheureux père, homme fort raisonnable jusque là et âgé d'une soixantaine d'années, pendu, à l'aide d'une cravate, à l'espagnolette de sa fenêtre. Il avait laissé un billet contenant ce peu de mots:
"Ma mort est volontaire. N'ayant point pu trouver de logement, il ne me restait pas d'autre parti à prendre."
C'est une triste extrémité; mais enfin, pour les locataires dans l'embarras, c'est un moyen d'être assurément logés.
Disons, du reste, qu'il y a en ce moment un nombre extraordinaire de suicides.
Contre toute raison, ces beaux jours d'été, pendant lesquels il semble qu'il soit si doux de vivre, sont surtout ceux que l'on choisit pour s'en aller de ce monde.
Un éclusier du canal Saint-Martin a retiré hier le corps d'un nommé Morlot, qui, depuis trois jours, se promenait dans l'eau, et dont la mort évidemment avait été volontaire.
Un habitant du village Levallois, venu à Paris, en passant par le boulevard Pigalle, s'est précipité sous la roue d'une énorme voiture de plâtre, où son corps a été entièrement broyé.
Plus loin, l'un des employés du cimetière du Sud trouvait près d'une tombe un homme, d'une cinquantaine d'années, étendu sans mouvement et ayant au cou une large blessure faite avec un rasoir, d'où son sang s'écoulait. C'était un mari qui n'avait pu survivre à la perte de sa femme, et qui était venu mourir sur sa tombe.
Dans la même soirée, un individu, qui est resté inconnu, se précipitait aussi dans la Seine pour y chercher sa fin.
Mais un autre suicide a été accompli dans des circonstances bien plus douloureuses:
Un artilleur, caserné à Vincennes, entrait l'autre soir dans une maison mal famée de ce pays. Au bout de peu d'instants, on entendit dans la chambre où il était entré une scène très-vive entre lui et la femme qui s'y trouvait. Presque en même temps, un coup de feu retentit. La femme descendit éperdue, échevelée, et, depuis ce moment, disparut. Comme elle était sortie seule, on pénétra dans la chambre où l'artilleur devait être resté, et on y trouva le malheureux, qui s'était fait sauter la cervelle d'un coup de pistolet.
D'après de forts indices, cet acte de désespoir se trouve expliqué; on dit que c'est sa propres sœur que le militaire avait retrouvée et reconnue dans cette maison de femmes perdues.
Aux environ de Pau, un prêtre, interdit par son évêque, avait eu l'étrange idée de travailler à son compte. Il avait élevé dans sa chambre un fort joli autel, et là, il disait des messes à ceux qui venaient lui en demander pour l'âme de quelque parent décédé ou la satisfaction de sa propres piété.
La cour impériale de Pau n'a pas voulu admettre cette industrie personnelle et a condamné le prêtre pour escroquerie.
Deux hommes perdus pour un lapin! Un de ces jours derniers, à Bernay, le garde champêtre était en tournée, lorsqu'il entendit à quelque distance un coup de feu résonnant dans le bois. Calculant que l'homme qui avait tiré devait revenir sur ses pas, et passer près de l'endroit où il était, le garde s'embusqua dans un taillis.
Bientôt il voit venir un jeune homme de seize ou dix-sept ans, portant un lapin,  fruit de son braconnage. Il s'élance, veut le saisir au collet; mais lorsqu'il est à quatre pas, le braconnier tire et le tue.
Aussitôt arrêté, le malheureux est maintenant en prison, où il aura à méditer sur ce que coûte l'amour effréné de la chasse.

                                                                                                                  Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 5 juillet  1857.

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