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mardi 21 octobre 2014

Le coup de Jarnac.

Le coup de Jarnac.

Le duel de Jarnac et de la Châtaigneraie fut un des événements les plus tragiques du règne de Henri II.
Guy de Chabot, sire de Jarnac et beau-frère de la duchesse d'Etampes, avait eu part aux faveurs du roi; le bruit courut qu'il n'avait pas dédaigné celles de sa belle-mère. Henri II, alors dauphin, non-seulement laissa dire, mais répéta le propos, dont François 1er se montra fort irrité. Le seigneur de la Châtaigneraie, pour détourner la colère du roi, prit le mot à son compte. La chose était croyable, car il n'y avait pas meilleure langue que son oncle Brantôme. Il prétendit que Jarnac lui avait confié son secret, et s'était vanté d'avoir, à plusieurs reprises tiré de l'argent de sa belle-mère. Jarnac, indigné, nia le fait et appela la Châtaigneraie. Il fallait, suivant les mœurs du temps, que les deux adversaires vidassent leur querelle en un combat singulier. Mais la Châtaigneraie était la meilleure épée de la cour; François défendit le duel. Lui mort, Henri II, qui n'aimait pas les hommes du dernier règne et encore moins ceux qui tenaient à l'ancienne favorite, accorda la permission demandée. Il comptait sur son champion et voulut donner à sa victoire un éclat qui en fit parler longtemps.
Le champ fut ouvert à Saint-Germain. Tout Paris et la cour s'y rendirent. Personne ne doutait que la Châtaigneraie ne fût vainqueur, Jarnac tout le premier, qui avait passé huit jours en prières et recommandé son âme à Dieu.
La Châtaigneraie était gros et fort; il pouvait lutter avec le roi et sautait presque comme lui, ce qui n'était pas étranger à sa faveur. Jarnac était grand, maigre et très-peu exercé aux armes.
Le roi était présent, dans une tribune, avec les dames. François de Lorraine et Charles de Boissy servaient de parrains. On examina les armes et on mesura les épées avec tous les rites de l'ancienne chevalerie. Lorsqu'enfin le héraut se fut écrié, selon l'usage: "Laissez aller les bons combattants," ils s'élancèrent l'un sur l'autre. Le combat ne fut pas long: Jarnac avait appris d'un bretteur italien quelques passes et certain coup en dehors des habitudes. Les épées étaient à peine croisées que la Châtaigneraie tomba. 



Jarnac, d'un coup inattendu, venait de lui trancher le jarret. Il essaya de se relever, mais en vain; Jarnac pouvait l'achever, il ne le voulut. Alors eut lieu une scène émouvante. Jarnac allait du blessé au roi et du roi au blessé, criant à l'un: "Rends-moi mon honneur!" et à l'autre: "Sire, prenez-le, je vous le donne."
Tous deux résistèrent longtemps; la Châtaigneraie, humilié, refusait de retirer sa calomnie. Le roi céda aux instances de la cour et fit emporter le blessé, qui de dépit et de rage arracha les bandages de sa blessure et se laissa mourir. Henri dut faire bon visage au vainqueur. Il l'embrassa en lui disant: "Vous avez combattu en César et parlé en Aristote." La foule ne lui fit point de si savants éloges, mais garda  mémoire de son nom et de son adresse. Le coup de Jarnac est devenu un proverbe et une chose qu'on aime à dire, encore mieux à faire.

                                                                                                                       Vincent.

Journal pour tous, 21 janvier 1865.

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