Repas d'une élection en Angleterre.
Hogarth a choisi pour lieu de cette scène une auberge de village. Le repas est fini, et l'on voit toutes les conséquences, les unes ridicules, les autres hideuses ou atroces. Si nos repas d'élection peuvent prêter quelquefois d'excellentes scènes à la verve comique, du moins nous ne savons pas qu'elles aient jamais offert le spectacle de désordre et de barbarie qu'à reproduit l'artiste anglais.
On peut croire que cette planche représente ce qui se passe à l'intérieur de l'hôtel que l'on assiège dans la première planche intitulée la Brigue des votes (voy. 1837, p. 297).
A la gauche du lecteur, sous le drapeau, le candidat qui a si bien repu et enivré les électeurs cause avec une vieille dame d'un embonpoint très remarquable. Un convive, debout sur un siège, fait usage de la familiarité que les circonstances autorisent, et frappe l'une contre l'autre la tête de la dame et celle du héros de la fête; en même temps, il répand les cendres de sa pipe sur les cheveux poudrés de ce dernier, qu'une petite fille cherche aussi à dépouiller de ses bagues.
Le groupe suivant se compose d'un homme de bonne foi que tourmente un savetier ricaneur et un barbier. Le premier lui saisit la main avec une énergie capable de lui déboîter toutes les articulations des doigts, tandis que le second, passant son bras autour de son cou, lui jette dans l’œil la fumée de sa pipe.
Derrière ces personnages, on voit un conseiller ivre qui brandit un verre plein de vin au-dessus du chapeau d'une jeune dame qui cause avec un officier. A peu près au milieu de la table carrée, un théologien tient sa perruque d'une main et essuie sa tête chenue. Au fond, un joueur de cornemuse écossais souffle dans son instrument et se gratte; une femme racle du violon; un autre musicien les accompagne très sérieusement sur un violoncelle, et un quatrième au-dessous rit et boit avec un convive. Près de là deux campagnards paraissent singulièrement réjouis en voyant un personnage qui, avec une serviette nouée autour du poing, a formé une espèce de tête d'homme qu'il fait mouvoir en chantant. A gauche est un vieux goutteux qui paraît peu satisfait. Derrière eux, on jette par la fenêtre l'eau d'un chaudron et un tabouret aux fauteurs du parti opposé qui assiège l'auberge et jette des pierres. Le haut de la table ronde est occupé par un personnage évanoui, coiffé d'une immense perruque à nœuds: c'est probablement le très honorable maire. sa gloutonnerie l'étouffe; il essaie encore d'avaler une huître. Un barbier-chirurgien lui a mis à nu le bras et veut le saigner. Immédiatement derrière lui, un agent de l'élection offre un présent à un tailleur puritain pour le corrompre; mais celui-ci refuse l'argent en joignant les mains, malgré les remontrances de sa femme; elle se plaint sans doute de la misère, et elle pose sa main à gauche sur la tête de son enfant, qui montre son pied nu.
Sur le premier plan, un malheureux homme de loi vient de recevoir au front une pierre lancée de la rue par les assaillants; un de ses voisins, également blessé, est assis à terre entre les mains d'un boucher qui verse du gin dans sa plaie. un petit garçon remplit de punch une cuve à lessive; un marchand quaker est auprès; il lit un billet à ordre dont l'argent est vraisemblablement destiné à acheter des gants, des rubans, etc., que le candidat veut offrir aux femmes et aux filles de ses électeurs.
En jetant les yeux vers la porte, on entrevoit une troupe d'assaillants armés de bâtons; un seul agite un sabre. A la muraille, au-dessus de la femme qui joue du violon, est suspendu le portrait lacéré de Guillaume III. Le drapeau déployé porte pour devise: Liberté et Loyauté. sur un autre drapeau tombé à terre sous le pied de l'un des blessés, on lit: Rendez-nous nos onze jours (give us our eleven days) ; c'est probablement une allusion à l'altération du style faite en 1752. Cette année on ne compta pas les onze jours depuis le 2 jusqu'au 14 septembre. On remarque aussi la devise: Pro patria, sur la tête du boucher.
Le magasin pittoresque, juin 1838.
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