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mardi 21 octobre 2014

Polichinelle.

Polichinelle.

Voila, voila Polichinelle (1) , le grand, le vrai, l'unique Polichinelle! Il ne parait pas encore et vous le voyez déjà; vous le reconnaissez à son rire fantastique, inextinguible comme celui des dieux. il ne parait pas encore, mais il susurre, il siffle, il bourdonne, il babille, il crie, il parle de cette voix qui n'est pas une voix d'homme, de cet accent qui n'est pas pris dans les organes de l'homme et qui annonce quelque chose de supérieur à l'homme, Polichinelle, par exemple. Il s'élance en riant, il tombe, il se relève, il se promène, il gambade, il saute, il se débat, il gesticule et retombe démantibulé contre le châssis qui résonne de sa chute. Ce n'est rien, c'est tout Polichinelle! Les sourds l'entendent et rient; les aveugles rient et le voient et toutes les pensées de la multitude enivrée se confondent en un cri:

"C'est lui! c'est lui!  c'est Polichinelle!"



Alors, oh! c'est un spectacle enchanteur que celui-ci, alors les petits enfants qui se tenaient immobiles d'un curieux effroi entre les bras de leurs bonnes, la vue fixée avec inquiétude sur le théâtre vide, s'émeuvent et s'agitent tout à coup, agrandissent encore leurs beaux yeux ronds pour mieux voir; s'approchent, se retirent, se rapprochent, se disputent la première place. Ils s'en disputeront bien d'autres quand ils seront grands. Le flot de l'avant-scène roule à la surface des petits bonnets, des petits chapeaux, des petits schakos, des toques, des casquettes, des bourrelets, de jolis bras blancs qui se contrarient, de jolies mains blanches qui se repoussent, et tout cela, vous savez pourquoi; pour saisir, pour avoir Polichinelle vivant. Je le comprends à merveille; mais moi, pauvres enfants, moi qui ai grisonné là, derrière vos pères, il y a quarante ans que je l'attends.

                                                                                                            Ch. Nodier.


(1) Tout le monde connait Polichinelle, mais tout le monde ne connait pas son origine; on prétend qu'il était célèbre dans l'antiquité et que sa figure a été reconnue sur des bas-reliefs antiques. Le vrai Polichinelle, celui que nous connaissons, est Napolitain; il a un rôle dans la plupart des farces napolitaines. C'est un paysan calabrois, souvent très fin, sous l'apparence de la balourdise. Il est vêtu d'une casaque et d'une longue culotte blanche; il porte un demi-masque brunâtre, remarquable par un très-long nez aquilin; sa coiffure est un haut bonnet de feutre gris, non pointu et sans bords; il parle en jargon et ne bredouille pas; son nom est la Poultchinella, que nous avons fait Polichinelle, qui n'en est qu'une corruption.
Mais nous n'avons pas altéré seulement le nom, nous avons  aussi un peu changé le personnage en le couvrant de dorures, le chamarrant de mille couleurs, le décorant de deux bosses et le faisant parler avec une voix qu'il ne peut se faire qu'à l'aide d'in instrument appelé pratique. En gardant ses sabots, notre Polichinelle prouve qu'il n'a pas oublié ses origines.

Journal pour tous, 31 décembre 1864.

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