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lundi 27 octobre 2014

Mœurs du dix-septième siècle.

Les caquets de l'accouchée, pamphlet de 1625.


Une des raretés bibliographiques les plus recherchées des amateurs est le Recueil des caquets de l'Accouchée, petit volume de 200 pages publié en 1625. Mais pour avoir toute leur valeur, les Caquets doivent être accompagnés de différentes pièces qui en sont regardées comme le complément. L'an dernier, un exemplaire, comprenant dix-huit pièces s'est vendu 296 francs à la vente La Bédoyère.
Souvent les livres rares ne sont que de pauvres bouquins dont le mérite est leur rareté même. Celui-ci n'est pas sans valeur réelle; il peut être lu avec fruit pour l'étude de la société sous Louis XIII.
L'auteur, qui n'est pas nommé, et que M. Barbier, le célèbre révélateur des anonymes et des pseudonymes, n'a pu découvrir, suppose qu'un convalescent a reçu de ses médecins le singulier conseil, pour se remettre en gaieté et santé, d'assister aux visites que recevrait une accouchée. Une sienne cousine, bourgeoise de la rue Quincampoix, "autrement dite de Mauvaises-Paroles," se trouvant dans la condition voulue, il va la prier de lui permettre de se cacher derrière une tapisserie pour entendre, sans être vu, la conversation des dames qui lui feront visite. La bonne cousine y consent "pourvu qu'il ne soit pas antiché de la maladie de la toux, parce que, pour rien, elle ne voudroit cela estre descouvert."
Dès que le convalescent fut dans sa cachette "arrivèrent toutes sortes de belles dames, jeunes, vieilles, riches et médiocres, qui, après le salut ordinaire, prendrent place, chacune selon son rang et dignité, puis commencèrent à caqueter."
Le prochain ne fut pas ménagé; on jasa longuement des aventures scandaleuses du jour, sans taire les noms propres, pas plus les grands noms que les autres; on n'épargna ni monsieur le Prince (le père du grand Condé) , "qui ne donnoit que trois sols à l'église pour se faire chanter un Salve; ni M. de Bassompierre, "qui venoit d'être créé maréchal de France pour avoir remporté une victoire sur une centaine de Huguenots." Notre écouteur enregistra les caquets de ces dames, et les livra à la publicité. Nous choisissons dans son procès-verbal quelques traits satiriques sur les mœurs générales de l'époque.
Une dame de la compagnie demande à la mère de l'accouchée combien sa fille a d'enfants: "Vramay, répond-elle, c'est le septiesme. Maintenant qu'on a tant de peine à marier les filles et pourvoir les garçons, il faudra à la fin, bon gré mal gré, qu'il y en ayent qui soyent moynes ou religieuses, car les offices et les mariages sont trop chers.
"- C'est la vérité ce que madame dit, ce fit une damoiselle de haut parage. Maintenant que l'un de nos confrères a marié sa fille à un comte, avec un douaire de 500.000 l. comptant et 20.000 écus d'or pour les bagues, toute la noblesse en veut avoir autant, et cela nous recule fort.
"- Je vous asseure, madamoiselle, que je ne m'estonne  nullement de vos discours. Ce qui est cause en partie de désordre, ce sont les bonbances d'aucuns; car, moy qui suys marchande, je le cognois à la vente. Il est aujourd'hui venu à nostre boutique un nombre de bourgeoises conduisant une fiancée pour acheter des étoffes; le fiancé estoit présent qui menoit la fiancée par dessous les bras; et comme je lui ay demandé quelles étoffes ils vouloient, ils se regardoient l'un l'autre et se disoient: Parlez, madame. Moy, je demande quel état a le fiancé. Une bonne vieille répond qu'il est trésorier et receveur-payeur de gages. Trésorier! ce dis-je; il faut donc les plus belles étoffes. Incontinent, je déploie un velours à la turque, un satin à fleurs, un velours à ramages, un damas mêlé, et autres grandes étoffes; puis je demande au fiancé si ces étoffes lui plaisoient. Il n'osoit répondre. La fiancée dit que c'étoit bien son cas. Luy, se hazarde de parler, et dit que ces étoffes estoient de trop grand prix pour sa qualité; mais la mère dit qu'elle veut que sa fille soit brave (bien parée) , et partant que l'on couppe. Si bien que j'en ay livré pour 1.200 livres à monsieur le trésorier.
"- Nous serions bien sottes, dit la femme d'un petit avocat, de porter de moindres étoffes que celles-là. Ce que nous en faisons donne davantage de courage à nos maris de travailler et plumer la fauvette sur le manant.
"- ......... Comment serait-il possible d'entretenir les garçons de ce temps si on ne déroboit? Il n'y a fils ni petit-fils de procureur, notaire ou avocat qui ne veuille faire comparaison, en toutes choses, avec les enfants des conseillers, maîtres des comptes, maître des requêtes, présidents et autres grands officiers; on ne peut les distinguer ni à l'habit, ni en dépenses superflues; ils hantent les banquets à deux pistoles par teste; ils sont plus aspres à chasser un lièvre que de servir le roy et la république, et, si vous les faites entrer pour votre argent à la cour de parlement, ils ne savent par quel bout commencer la justice; et ainsi les cours souveraines sont remplies de beaux-fils et bien peignez, logés à l'enseigne de l'âne.
"- Mesdames, dit l'accouchée, vous me faites appréhender le temps à venir, car je n'ai que vingt-quatre ans et demi et sept enfants." Elle parle de la nécessité de faire des économies: "Je vois bien, ajoute-t-elle que madamoiselle, qui n'est pas de ceste ville, se rit de nostre petitesse.
"- N'estoit qu'en nostre chambre des comptes de Normandie les officiers s'allient avec les comptables et meslent leurs gains ensemble, répond la damoiselle, nous ne pourrions, non plus que vous à Paris, entretenir nostre grandeur; mais Dieu mercy, ils s'entendent bien ensemble.
"- Eh! madamoiselle, je pensois que la chambre des comptes fussent les juges des comptables.
"- Madame, autrefois la linotte et le chardonneret estoient à part en diverses cages; mais à présent tout est en mesme volière."
Les concussions, surtout celles causées par la vénalité des charges, tiennent une grande place dans le pamphlet:
" Voyez comme chacun fait sa main dans son office. Voyez messieurs les juges criminels refuser de poursuivre les voleurs si la partie ne donne pas de l'argent! Voyez messieurs les eschevins et prévôts des marchands employer à festoyer et bancquetter l'impôt de cinq sols par écu sur le vin des bourgeois, au lieu d'en réparer, ainsi qu'il estoit dit, les quais rompus et les fossés de la ville!"
La femme d'un commissaire des guerres et celle d'un trésorier racontent naïvement le secret de la fortune de leurs maris. L'un, en mettant dans sa poche deux livres de poudre par coup de canon, et l'autre, en trafiquant le solde avec les parties prenantes, se sont mis à l'abri de la misère. Quelque jour, on les pourra rechercher, mais tout est assuré: la bourse des rechercheurs est déjà faite. Il faut bien faire le tour du bâton pour gagner l'intérêt du prix des charges.
Une des commères accuse les médecins et les apothicaires de vendre, comme production des Indes, les herbes de leurs jardins.
La conversation ayant pris un tour philosophique excite la colère d'une vieille chaperonnière à l'antique. "Holà, madame! s'écrie-t-elle, ne passez pas outre, car nous n'entendons pas la moitié de vos discours; il n'y a personne dans la compagnie qui puisse comprendre des choses si hautes et si relevées, sinon madame qui est à ce bout, car elle a lu Calvin, de Bèze, Clément Marot, et une infinité de grands philosophes.
"- Oui, je les ai lus, vieille sans-dents!"
Au nom de Calvin, un petit chien avait relevé la tête, croyant qu'on l'appelait; mais sa maîtresse l'avait vivement renfoncé sous sa cotte;
Après bien des coups de langue, bien des disputes qui se renouvelèrent durant huit "après-dînées," on s'attabla et l'on fit une collation pour fêter les relevailles de l'accouchée.
Il y avait eu un moment critique pour l'indiscret secrétaire de ces dames: elle l'avaient entendu remuer, et s'étaient vivement émues à l'idée qu'un étranger les écoutait; mais, pleinement rassurées par la bourgeoise de la rue Quincampoix, elles avaient continué leurs caquets avec le laisser-aller d'une sécurité parfaite.

Le magasin pittoresque, septembre 1838.

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