Conjectures sur la reine Pédauque.
On voyait encore en France, au milieu du dernier siècle, sur les portails du prieuré de Saint-Pourçain en Auvergne, de l'abbaye de Sainte-Bénigne de Dijon, de Sainte-Marie de Nesle, diocèse de Troyes, et de Saint-Pierre de Nevers, la statue d'une reine avec un pied d'oie. C'était la reine Pédauque, dont il est question dans plusieurs dictons populaires. Ce mot Pédauque est formé des deux mots latins pas, aucæ, qui signifient pied d'oie. Mais quelle était la reine à laquelle s'appliquait cet étrange surnom? Voici les conjectures principales des antiquaires.
Mabillon et Montfaucon, qui les premiers parlèrent de cette singularité, crurent qu'on avait voulu représenter la femme de Clovis, sainte Clothilde, et que c'était pour marque de sa prudence qu'on l'avait ainsi gratifiée d'un pied d'oie. Mais comment admettre, d'après cette hypothèse, que dans des provinces, comme l'Auvergne et la Bourgogne, où la domination étrangère fut si longtemps vue avec haine, la mémoire de Clothilde eût été dans une telle vénération que son image eût trouvé place sur des portails d'églises construites cinq siècles plus tard.
D'autres érudits prétendirent qu'il s'agissait, les uns de Berthe au grand pied, femme de Pépin-le-Bref, les autres d'une reine de Toulouse, femme d'Euric, roi des Wisigoths, qui aurait été surnommé ainsi à cause de son grand amour pour les bains.
Rejetant et avec raison ces diverses opinions, l'abbé Lebeuf en émet une autre tout aussi invraisemblable, malgré l'érudition qu'il emploie pour la soutenir. Selon lui, la reine Pédauque ne serait autre chose que la reine de Saba, et pour arriver à cette conclusion il a recours à une tradition judaïque rapportée dans le paraphraste chaldéen. Voici cette tradition que nous croyons assez curieuse pour être citée ici. Lorsque la reine de Saba fit le voyage de Jérusalem pour voir Salomon, ce prince attendit sa visite dans un appartement de cristal qu'il avait fait construire dans son palais. Etant entrée dans la salle où était le monarque, la reine crut le voir dans l'eau, et leva sa robe pour s'approcher de lui. Alors Salomon voyant ses pieds qui étaient hideux, lui dit: "Votre visage a la beauté des plus belles femmes, mais vos pieds n'y répondent guère". Cette tradition, jointe à l'habitude que la reine de Saba avait de se baigner tous les jours, aurait suffi, dit l'abbé Lebeuf, pour lui faire donner par les Chrétiens le nom de Pédauque. Une fois cette donnée admise, s'appuyant sur l'opinion de quelques saints pères qui, dans Salomon et la reine de Saba, ont voulu voir une figure de Jésus-Christ et de son église, il motive assez bien la présence de cette princesse sur les portails de nos cathédrales.
Bullet, le dernier auteur qui ait écrit sur cette matière, réfute complètement toutes ces conjectures, et donne à son tour une explication qui nous paraît la plus vraisemblable et la plus satisfaisante. Robert 1er, roi de France, avait épousé en 995 Berthe de Bourgogne, dont il était le cousin au quatrième degré. Excommunié par le pape Grégoire V pour cette union contraire aux canons de l'Eglise, il ne fallut rien moins que l'interdit jeté sur son royaume, et l'abandon où le laissèrent tous ses serviteurs, pour qu'il pût se résoudre à répudier Berthe qu'il chérissait tendrement. Le cardinal Pierre Damien, qui écrivait soixante ans après cet événement et fut vraisemblablement l'écho de traditions populaires, raconte que Berthe accoucha pendant l'interdit, et par l'effet de la colère divine, mit au monde un fils dont la tête et le cou étaient d'une oie et non d'un homme. Il est donc probable que l'on voulut éterniser le souvenir de cette vengeance céleste pour épouvanter par la vue perpétuelle de ce châtiment ceux qui oseraient braver les censures ecclésiastiques. Et Berthe, portant avec elle le signe de réprobation dont Dieu l'avait frappé dans son fils, devint un symbole menaçant pour les adversaires du pouvoir temporel de l'Eglise, et dut être alors mise en évidence sur nos monuments religieux.
Observons ici en passant que Robert fut le bienfaiteur de l'abbaye de Sainte-Bénigne, à Dijon, et que sa statue et celle de la reine Pédauque s'y trouvent placés l'une en regard de l'autre, de manière à confirmer pleinement ce que nous venons de dire. Si l'on adopte cette opinion sur la reine Pédauque, on s'expliquera alors peut-être aussi pourquoi on obligeait autrefois les hérétiques à porter une patte d'oie sur leurs habits, coutume qui donne lieu à Rabelais d'appeler canards ou caignards de Savoie, les Vaudois, sujets de ce pays.
Le magasin pittoresque, décembre 1838.
Mabillon et Montfaucon, qui les premiers parlèrent de cette singularité, crurent qu'on avait voulu représenter la femme de Clovis, sainte Clothilde, et que c'était pour marque de sa prudence qu'on l'avait ainsi gratifiée d'un pied d'oie. Mais comment admettre, d'après cette hypothèse, que dans des provinces, comme l'Auvergne et la Bourgogne, où la domination étrangère fut si longtemps vue avec haine, la mémoire de Clothilde eût été dans une telle vénération que son image eût trouvé place sur des portails d'églises construites cinq siècles plus tard.
D'autres érudits prétendirent qu'il s'agissait, les uns de Berthe au grand pied, femme de Pépin-le-Bref, les autres d'une reine de Toulouse, femme d'Euric, roi des Wisigoths, qui aurait été surnommé ainsi à cause de son grand amour pour les bains.
Rejetant et avec raison ces diverses opinions, l'abbé Lebeuf en émet une autre tout aussi invraisemblable, malgré l'érudition qu'il emploie pour la soutenir. Selon lui, la reine Pédauque ne serait autre chose que la reine de Saba, et pour arriver à cette conclusion il a recours à une tradition judaïque rapportée dans le paraphraste chaldéen. Voici cette tradition que nous croyons assez curieuse pour être citée ici. Lorsque la reine de Saba fit le voyage de Jérusalem pour voir Salomon, ce prince attendit sa visite dans un appartement de cristal qu'il avait fait construire dans son palais. Etant entrée dans la salle où était le monarque, la reine crut le voir dans l'eau, et leva sa robe pour s'approcher de lui. Alors Salomon voyant ses pieds qui étaient hideux, lui dit: "Votre visage a la beauté des plus belles femmes, mais vos pieds n'y répondent guère". Cette tradition, jointe à l'habitude que la reine de Saba avait de se baigner tous les jours, aurait suffi, dit l'abbé Lebeuf, pour lui faire donner par les Chrétiens le nom de Pédauque. Une fois cette donnée admise, s'appuyant sur l'opinion de quelques saints pères qui, dans Salomon et la reine de Saba, ont voulu voir une figure de Jésus-Christ et de son église, il motive assez bien la présence de cette princesse sur les portails de nos cathédrales.
Bullet, le dernier auteur qui ait écrit sur cette matière, réfute complètement toutes ces conjectures, et donne à son tour une explication qui nous paraît la plus vraisemblable et la plus satisfaisante. Robert 1er, roi de France, avait épousé en 995 Berthe de Bourgogne, dont il était le cousin au quatrième degré. Excommunié par le pape Grégoire V pour cette union contraire aux canons de l'Eglise, il ne fallut rien moins que l'interdit jeté sur son royaume, et l'abandon où le laissèrent tous ses serviteurs, pour qu'il pût se résoudre à répudier Berthe qu'il chérissait tendrement. Le cardinal Pierre Damien, qui écrivait soixante ans après cet événement et fut vraisemblablement l'écho de traditions populaires, raconte que Berthe accoucha pendant l'interdit, et par l'effet de la colère divine, mit au monde un fils dont la tête et le cou étaient d'une oie et non d'un homme. Il est donc probable que l'on voulut éterniser le souvenir de cette vengeance céleste pour épouvanter par la vue perpétuelle de ce châtiment ceux qui oseraient braver les censures ecclésiastiques. Et Berthe, portant avec elle le signe de réprobation dont Dieu l'avait frappé dans son fils, devint un symbole menaçant pour les adversaires du pouvoir temporel de l'Eglise, et dut être alors mise en évidence sur nos monuments religieux.
Observons ici en passant que Robert fut le bienfaiteur de l'abbaye de Sainte-Bénigne, à Dijon, et que sa statue et celle de la reine Pédauque s'y trouvent placés l'une en regard de l'autre, de manière à confirmer pleinement ce que nous venons de dire. Si l'on adopte cette opinion sur la reine Pédauque, on s'expliquera alors peut-être aussi pourquoi on obligeait autrefois les hérétiques à porter une patte d'oie sur leurs habits, coutume qui donne lieu à Rabelais d'appeler canards ou caignards de Savoie, les Vaudois, sujets de ce pays.
Le magasin pittoresque, décembre 1838.
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