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mercredi 1 octobre 2014

Maisons centrales de détention.

Maisons centrales de détention.


Il y a en France dix-neuf maisons centrales de détention; trois d'entre elles se trouvent sur le territoire de l'ancienne Normandie, à Beaulieu, près de Caen; à Gaillon, arrondissement de Louviers; et au Mont-Saint-Michel, dans le voisinage d'Avranches.
La maison de Beaulieu fut fondée en 1160 ou 1161 par Henri II, duc de Normandie, pour recevoir les malades attaqués de la lèpre; de là le nom de maladrerie, qu'elle conserve encore. A l'époque de la révolution de 1789, elle servait à enfermer des condamnés, des personnes détenues en vertu de lettres de cachets, celles qui étaient arrêtées pour vagabondage, et les aliénés des deux sexes.
La maison centrale de Gaillon, instituée par décret du 3 janvier 1812, occupe l'ancien château des archevêques de Rouen, situé sur les bords de la Seine.
Quant à la maison du Mont-Saint-Michel, c'était une abbaye fondée, au commencement du VIIIe siècle, sur le sommet aplati d'un rocher, qui a environ trois quarts de lieue de circuit, et qui s'élève au milieu d'une vaste plage sablonneuse, que la mer dans son flux couvre entièrement. Le château fort servait autrefois de prison d'état.
Toutes les maisons centrales sont administrées suivant le même système, sauf quelques modifications nécessités par les localités. Ce qui dans ces maisons doit surtout intéresser les amis de l'humanité, c'est le régime pénitentiaire, au moyen duquel on peut espérer de corriger les individus que la société outragée a repoussés de son sein, et qui, pour la plupart, sont destinés à y rentrer après un intervalle plus ou moins long. Tous les observateurs éclairés qui ont visité la maison de Beaulieu, ont admiré l'ordre et la propreté qui y règnent; et ils ont pu se faire une idée du régime auquel sont soumis les détenus.
Depuis notre première révolution, un grand nombre de publicistes, de philantropes, et le gouvernement lui-même ont été animés du désir d'opérer la réforme matérielle des prisons, et d'établir en France un système pénitentiaire.
C'est par un décret de l'empereur, daté de Bayonne, lors de son entrée en Espagne, que les maisons centrales furent instituées; et c'est de cette époque que commence la réforme des prisons.
La maison centrale de Melun, qui, à une certaine époque, avait fait le plus de progrès dans son organisation matérielle et morale, étant placée près de Paris, fut visitée par un grand nombre de curieux de la capitale et de philantropes de tous les pays. Les idées de perfectionnement qu'ils s'étaient faites sur le régime pénitentiaire, ne se trouvant pas entièrement réalisées dans ce qu'ils voyaient, ils ne tinrent aucun compte des améliorations déjà introduites, et, au lieu d'en indiquer de nouvelles et d'aider par de sages conseils à perfectionner le système, ils l'attaquèrent et l'entravèrent dans sa marche.
Pour faire ressortir l'injustice et l'exagération de ces critiques sur le régime des maisons centrales, il suffira d'en citer une seule. A la botte de paille, seul coucher qui existât dans les prisons, on a constitué un lit à fond sanglé, un matelas contenant treize livres de laine, une paire de draps, une couverture et un couvre-pieds; mais comme ce lit était un peu plus large que les cadres des officiers de marine, et que les draps étaient cousus jusqu'à la poitrine, de prétendus philantropes l'ont comparé à un cercueil dans lequel on enterrait les détenus tout vivans, après les avoir mis toutefois dans un sac ou linceul.
Un rapide aperçu de l'une des maisons centrales de France, celle de Beaulieu, fera juger à nos lecteurs des autres améliorations introduites dans notre système pénitentiaire. Cette maison est située dans une position des plus salubres, à moins d'un quart de lieue de l'octroi de la ville de Caen, sur le bord de la route de Bayeux.
Une moitié des batimens de cette prison est destinée aux ateliers, et l'autre aux dortoirs; les rez-de-chaussée servent de réfectoires. Ainsi les prisonniers n'habitent pas la nuit les mêmes corps de bâtimens qu'ils ont occupés de jour; ils trouvent le soir et le matin des salles bien aérées où règne la plus grande propreté, et qui sont exemptes de toute mauvaise odeur.
Un bâtiment placé entre le quartier des hommes et celui des femmes, contient trente-six cellules isolées, divisées chacune en deux petites pièces, l'une pour le coucher, et l'autre pour le travail. Ces cellules, sans fers, sans instrumens de torture, sont le seul moyen de punition qui soit mis en usage. Les détenus qui troublent l'ordre ou qui refusent de travailler, y sont renfermés pendant un temps plus ou moins long, suivant la gravité de leur faute. Les hommes, endurcis, que rien n'a pu réduire, et dont l'exemple serait dangereux, y sont placés dans un isolement absolu, à l'exception cependant des heures de repas, qu'ils prennent avec les autres prisonniers.
A leur entrée dans la maison, on visite les condamnés pour s'assurer s'ils ne sont point atteints de maladies contagieuses. On leur fait prendre un bain; si les hommes ont les cheveux trop longs ou malpropres, on les coupe, et on leur fait prendre l'uniforme de l'établissement, qui est en étoffe de laine pour l'hiver, et en coutil pour l'été. S'ils ont une profession, et qu'elle fasse partie des industries de la maison, on la leur laisse exercer; s'ils n'en ont pas, on leur accorde, autant que possible, la liberté d'en choisir une, dont ils font l'apprentissage.
Il est rare que les prisonniers, quelque récalcitrants qu'ils soient, ne se conforment pas, dès les premiers jours de leur arrivée dans la maison, à l'ordre qu'ils y trouvent établi. La plus courte instruction leur suffit, et la conduite des autres prisonniers leur sert d'exemple. Ils savent qu'ils doivent être propres, décens, soumis et laborieux, et qu'à ces conditions ils seront traités avec douceur.
L'habillement est parfaitement entretenu. La nourriture, sans être abondante, suffit pour l'entretien d'un bon état de santé.
Les prisonniers, ayant droit aux deux tiers de leur salaire, dont l'un est mis en réserve pour l'époque de leur sortie, peuvent, avec celui qui leur est remis chaque semaine, se procurer un supplément de nourriture, qu'ils paient d'après un tarif renouvelé tous les huit jours. Mais, quand ils n'auraient pas cette ressource, leur force n'en seraient pas diminuées.
Il n'est vendu à la cantine aucune liqueur spiritueuse, ni aucun mets propre à exciter la gourmandise, et à donner des goûts qui ne peuvent être que dangereux pour des hommes destinés à vivre du fruit de leur travail. Chaque détenu ne peut acheter qu'un litre de cidre par jour, et à l'heure du dîner seulement.
Les médecins font régulièrement une visite tous les jours, et davantage si le besoin l'exige. Le traitement des malades est, sous tous les rapports, le même que dans les hôpitaux les mieux tenus.
Après le lever et le coucher, les prisonniers prennent une demi-heure de récréation, ils ont en outre une heure de repos à chaque repas.
En entrant dans les ateliers, les détenus se mettent à leur travail; et, dès ce moment, toute conversation cesse. Ce silence n'est pas absolu: arrive-t-il qu'un détenu ait besoin du secours de son maître ou d'un de ses camarades, il a la permission de le réclamer; de là résulte nécessairement un échange de quelques mots. Cette faculté qui leur est accordée, sans occasionner du bruit ou du désordre, entretient chez eux des rapports de bienveillance et d'égards réciproques, qui adoucissent leurs mœurs. Dans les dortoirs, on n'entend plus un mot après la prière du soir; c'est le moment du repos et du sommeil, après une longue journée de travail.
Pour soustraire, autant que possible, les prisonniers à la mauvaise influence de leurs conversations, on a crée, dans les préaux, de petits jardins qu'ils cultivent avec beaucoup de soins, d'intelligence et d'intérêt: ces jardins sont couverts de fleurs pendant la belle saison. rien n'est plus remarquable que le respect que les détenus portent réciproquement à ces petites propriétés: pas une fleur n'a encore été dérobée.
C'est à l'heure de ces promenades, de ces moments consacrés au repos, que l'on peut distinguer les trois classes de prisonniers qui peuplent les maisons de détention. Ils se recherchent presque toujours entre eux; et voici comment on peut les classer: 1° les hommes profondément dépravés, qui se sont endurcis dans le crime, qui en font métier, et qui n'ont d'autres pensées que celles d'en commettre de nouveaux. Le nombre n'en est que trop grand à cause de leur dépravation; mais il excède rarement quinze sur mille, et il est souvent au-dessous: ceux-là sont incorrigibles. 2° Ceux à qui une mauvaise éducation a fait contracté, dès l'enfance, sous les yeux de leurs parens, et peut être par leur influence, l'habitude du vol et de la paresse: ils ne sont ni méchans ni cruels, ils ne commettraient pas de grands crimes; mais ils ne peuvent plus s'accoutumer à une vie laborieuse et sage. Cette classe est nombreuse, et présente peu de conversions. La troisième classe se compose des hommes que de mauvaises compagnies, des circonstances fortuites, le besoin, des malheurs imprévus, ont entraînés dans le crime: dans les maisons de détention, ils deviennent laborieux, et dans la société, ils prennent souvent place à côté des ouvriers les plus estimés.
Un avantage immense, sous le rapport financier, résultera bientôt du travail des prisonniers. Si nous ne pouvons pas, comme aux Etats-Unis, où les prix de la main-d'oeuvre sont quatre fois plus élevés qu'en France, couvrir les dépenses de nos maisons centrales par le travail journalier des prisonniers, nous avons du moins un moyen d'amortissement qui nous donnera un peu plus tard les mêmes résultats. Le tiers du produit de la main-d'oeuvre, qui est mis en réserve pour être versé aux prisonniers le jour de leur libération, n'est pas déposé dans les caisses de ces établissemens. On ne conserve, sur les rentrées de chaque mois, que ce qui est nécessaire pour payer les masses de réserves des prisonniers qui sortent dans le courant du mois suivant; le reste est placé sur l'Etat, en achat d'inscriptions de rente 5 p. %. Ce plan, qui a été adopté en 1819, a eu des résultats extraordinaires. Les dix-neuf maisons centrales, réparties sur divers points de France, ont alors placé entre elles 125.000 fr. et les placemens s'élèvent aujourd'hui à plus de 3.000.000. On conçoit, d'après cette progression, comment nous arriverons à un capital dont le revenu suffira pour couvrir toutes les dépenses.

Le Magasin Universel, 1834-1835.

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