Une loterie royale en 1681.
On lit dans le Mercure galant (Février 1681) : "On fait une loterie à Saint-Germain qui ne devait être que de 200.000 francs; mais l'exacte fidélité qui s'y observe ayant obligé un très-grand nombre de particuliers à y porter de l'argent, on a été obligé de la faire de 100.000 écus. Elle serait peut-être d'une somme encore plus considérable si l'on voulait toujours recevoir. Le gros lot sera de 100.000 francs."
Il y a toute apparence que l'original de notre gravure, conservé au cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale, représente le tirage de cette loterie à Saint-Germain, vers Pâques 1681; c'est à peu près la reproduction d'une estampe du Mercure (Mai 1681, p. 350) . On ne remarque de différences que dans l'agencement des groupes assis à la table du fond, encore sont-elles insignifiantes.
Un correspondant du Mercure écrit, en mars 1681, que beaucoup de boîtes (à lots) n'étant pas arrivées à temps de la campagne, il y a eu du retard dans le tirage; mais il se propose de donner, quand ses informations seront complétées, la liste des gagnants. C'est ce qu'il fit quelques temps après. Nous transcrivons ici une partie de sa lettre.
"Je viens à l'article sur la loterie, que vous attendez depuis deux mois. On peut dire qu'elle a servi d'entretien et de divertissement à toute la France pendant l'hiver, et qu'elle a lié un nombre infini de sociétés agréables. En effet, la plupart de ceux qui s'y sont intéressés ayant fait bourse commune, tel qui n'avait hasardé que trois ou quatre louis se trouvait associé à diverses compagnies dont les billets lui étaient communs. Comme on espérait de plusieurs côtés, chaque ouverture de boîte était un nouveau plaisir. Ce qui en donnait beaucoup, c'est que tout le monde se promettant le gros lot, chacun faisait l'emploi des 100.000 francs selon les idées qui le flattaient davantage. Quelques uns poussaient leur imagination si loin, qu'une fille qui était prête à se marier voulût attendre qu'on ait tiré la loterie, dans la pensée que ce gros lot lui venant, elle trouverait un plus grand parti. C'est d'ailleurs quelque chose de plaisant que les diverses précautions qu'on prenait pour se rendre la fortune favorable. Les uns se servaient de nom qui promettaient du bonheur. Les autres en choisissant où la lettre L entrât plusieurs fois, n'en croyant pas de plus fortunée. D'autres ont voulu que dans ces noms le nombre de lettres se trouvât impair, et d'autres n'ont affecté de ne prendre leurs billets que dans les jours que les almanachs nous marquent heureux. Il y en a plusieurs qui, au lieu de noms, ont fait écrire des manières de sentences. Ces paroles, qu'employa un inconnu, ont passé pour les plus spirituelles: Un seul Louis peut faire ma fortune. La planche que j'ai pris soin de faire graver vous fera voir de quelle manière on a tiré cette loterie.
"Le roi est au milieu de la table. Vous pouvez croire qu'un si auguste témoin est non-seulement capable d'empêcher les tours d'adresse, mais qu'il peut même empêcher d'en concevoir la pensée. Celui qui paraît entre les deux qui sont dans l'espace qui est au milieu de cette table, et que vous voyez assis plus bas, est un valet de chambre de Sa Majesté, qui tient un sac où sont les billets. Il les donne par compte à Mme Colbert de Croissy et à M. le marquis de Dangeau, qui sont à ses deux côtés. Ils les comptent à nouveau et les distribuent à ceux qu'on voit autour de la table. Chacun a des boîtes devant soi, et met autant de billets qu'il y en a de marqués dessus. La table est couverte de bougies, afin que chacun ait de la lumière pour cacheter. Tout ce qui est au delà de ces bougies sont de petits plats d'argent remplis d'eau pour y tremper les cachets qui, à force de cacheter, se seraient trop échauffés. M. de Condom, présentement évêque de Meaux, est à un bout de la table. Toutes les boites passent par ses mains, et il y met un second cachet. Elles sont visitées ensuite par M. de Montausier, qui les met dans une corbeille d'où de temps en temps on les va porter dans les sacs qui sont attachés à la muraille. Je ne vous dit point que tout ce qu'il y a de plus illustre à la cour est autour de cette table; il vous est aisé de le juger. M. le duc du Maine et Mlle de Nantes s'y acquittèrent de leur emploi avec toute la bonne grâce imaginable. C'était un charme de voir leur adresse. Ils vous faut marquer en quoi consistent les lots, et vous montrer ceux que la fortune a favorisés. Il y a raison de dire qu'elle a doublement travaillé pour eux, puisque les premières et les plus illustres personnes du monde ont bien voulu se mêler de leurs affaires."
Des lots de divers importances (dix, sept, cinq mille francs) échurent au Dauphin, à la reine, à Monsieur, à Mmes de Fontange, de la Vallière, de Scudéry. Mais le roi fut le héros de la fête: outre des sommes de 30.000 francs et de 20.000 francs, il gagna le gros lot de 100.000 francs.
"Tous le monde a su que, la loterie étant tirée, le roi a remis le gros lot au profit de ceux qui n'avaient rien eu. Il fut divisé en six autres lots, l'un de 50.000 francs et cinq de 10.000.
"Les deux loteries du roi avaient servi tout l'hiver d'un si agréable divertissement, qu'on en eût fait plusieurs autres si M. de la Reynie n'y eût donné ordre en les défendant. Ce sage et vigilant magistrat, que le bien public occupe sans cesse, n'a pu s'assurer contre les abus qu'on peut y commettre; et comme la bonne foi n'est pas exacte partout, il a cru devoir priver les uns d'un plaisir, afin d'épargner aux autres le danger d'être trompés."
Quelques années après, Louis XIV voulut offrir gratuitement à sa cour ce divertissement interdit au vulgaire.
"Après le mariage de Mlle de Nantes avec M. le Duc, nous dit Voltaire, le roi étala une magnificence singulière, dont le cardinal Mazarin avait donné la première idée en 1656. On établit dans le salon de Marly quatre boutiques remplies de ce que l'industrie des ouvriers de Paris avait produit de plus riche et de plus recherché. Ces quatre boutiques étaient autant de décorations superbes qui représentaient les quatre saisons de l'année. Mme de Montespan en tenait une avec Monsieur. Sa rivale, Mme de Maintenon en tenait une autre avec le duc du Maine. Les deux nouveaux mariés avaient chacun la leur. M. le Duc avec Mme de Thiange, et Mme la Duchesse, à qui la bienséance ne permettait pas d'en tenir une avec un homme, à cause de sa grande jeunesse, était avec la duchesse de Chevreuse. Les dames et les hommes nommés du voyage tiraient au sort les bijoux dont ces boutiques étaient garnies. Ainsi le roi fit des présents à toute la cour, d'une manière digne d'un roi. La loterie du cardinal Mazarin fut moins ingénieuse et moins brillante. Les loteries avaient été autrefois mises à l'honneur par les empereurs romains (1) ; mais aucun d'eux n'en releva la magnificence par autant de galanterie."
Terminons par quelques renseignements ultérieurs qui peuvent servir à l'histoire de la loterie en France.
Par arrêt rendu au conseil d'Etat du 30 juin 1776, le roi a supprimé les loteries de l'Ecole royale militaire, de l'Hôtel de ville de Paris, de la Générale d'association et des communautés religieuses; il a en même temps été crée une nouvelle loterie, sous le nom de Loterie royale de France.
La loi du 23 vendémiaire an 2 continua la Loterie de France; mais bientôt après, et dès le 25 brumaire suivant, une autre loi prohiba toutes les loteries. Puis la Loterie nationale de France fut rétablie par la loi du 9 vendémiaire an 6 La loi du 21 mai 1836 supprima définitivement les loteries; mais elle a malheureusement laissé la porte ouverte à tous les inconvénients de ce genre de jeu de hasard, en permettant les loteries destinées à des actes de bienfaisance ou à l'encouragement des arts.
(1) Les Romains, dans la célébration des saturnales, avaient en effet imaginé des loteries dont les billets étaient distribué aux convives. Auguste, pour plus d'amusement, mêla aux lots importants de pures bagatelles. Les loteries furent pour Néron des moyens de popularité: il en créa de publiques; elles se tiraient durant les jeux célébrés pour la durée de l'empire. Mille billets par jour étaient libéralement distribués à la foule, et quelques uns firent la fortune de ceux que le hasard en avait gratifiés. Héliogabale, imitant Auguste, trouva plaisant de composer pour moitié ses loteries de billets utiles et de billets sans valeur: il y avait par exemple, un billet de six esclaves, un autre de six mouches; celui-ci donnait droit à une coupe d'or, celui-là à une cruche ou une assiette de terre.
Le magasin pittoresque, 1865.
Des lots de divers importances (dix, sept, cinq mille francs) échurent au Dauphin, à la reine, à Monsieur, à Mmes de Fontange, de la Vallière, de Scudéry. Mais le roi fut le héros de la fête: outre des sommes de 30.000 francs et de 20.000 francs, il gagna le gros lot de 100.000 francs.
"Tous le monde a su que, la loterie étant tirée, le roi a remis le gros lot au profit de ceux qui n'avaient rien eu. Il fut divisé en six autres lots, l'un de 50.000 francs et cinq de 10.000.
"Les deux loteries du roi avaient servi tout l'hiver d'un si agréable divertissement, qu'on en eût fait plusieurs autres si M. de la Reynie n'y eût donné ordre en les défendant. Ce sage et vigilant magistrat, que le bien public occupe sans cesse, n'a pu s'assurer contre les abus qu'on peut y commettre; et comme la bonne foi n'est pas exacte partout, il a cru devoir priver les uns d'un plaisir, afin d'épargner aux autres le danger d'être trompés."
Quelques années après, Louis XIV voulut offrir gratuitement à sa cour ce divertissement interdit au vulgaire.
"Après le mariage de Mlle de Nantes avec M. le Duc, nous dit Voltaire, le roi étala une magnificence singulière, dont le cardinal Mazarin avait donné la première idée en 1656. On établit dans le salon de Marly quatre boutiques remplies de ce que l'industrie des ouvriers de Paris avait produit de plus riche et de plus recherché. Ces quatre boutiques étaient autant de décorations superbes qui représentaient les quatre saisons de l'année. Mme de Montespan en tenait une avec Monsieur. Sa rivale, Mme de Maintenon en tenait une autre avec le duc du Maine. Les deux nouveaux mariés avaient chacun la leur. M. le Duc avec Mme de Thiange, et Mme la Duchesse, à qui la bienséance ne permettait pas d'en tenir une avec un homme, à cause de sa grande jeunesse, était avec la duchesse de Chevreuse. Les dames et les hommes nommés du voyage tiraient au sort les bijoux dont ces boutiques étaient garnies. Ainsi le roi fit des présents à toute la cour, d'une manière digne d'un roi. La loterie du cardinal Mazarin fut moins ingénieuse et moins brillante. Les loteries avaient été autrefois mises à l'honneur par les empereurs romains (1) ; mais aucun d'eux n'en releva la magnificence par autant de galanterie."
Terminons par quelques renseignements ultérieurs qui peuvent servir à l'histoire de la loterie en France.
Par arrêt rendu au conseil d'Etat du 30 juin 1776, le roi a supprimé les loteries de l'Ecole royale militaire, de l'Hôtel de ville de Paris, de la Générale d'association et des communautés religieuses; il a en même temps été crée une nouvelle loterie, sous le nom de Loterie royale de France.
La loi du 23 vendémiaire an 2 continua la Loterie de France; mais bientôt après, et dès le 25 brumaire suivant, une autre loi prohiba toutes les loteries. Puis la Loterie nationale de France fut rétablie par la loi du 9 vendémiaire an 6 La loi du 21 mai 1836 supprima définitivement les loteries; mais elle a malheureusement laissé la porte ouverte à tous les inconvénients de ce genre de jeu de hasard, en permettant les loteries destinées à des actes de bienfaisance ou à l'encouragement des arts.
(1) Les Romains, dans la célébration des saturnales, avaient en effet imaginé des loteries dont les billets étaient distribué aux convives. Auguste, pour plus d'amusement, mêla aux lots importants de pures bagatelles. Les loteries furent pour Néron des moyens de popularité: il en créa de publiques; elles se tiraient durant les jeux célébrés pour la durée de l'empire. Mille billets par jour étaient libéralement distribués à la foule, et quelques uns firent la fortune de ceux que le hasard en avait gratifiés. Héliogabale, imitant Auguste, trouva plaisant de composer pour moitié ses loteries de billets utiles et de billets sans valeur: il y avait par exemple, un billet de six esclaves, un autre de six mouches; celui-ci donnait droit à une coupe d'or, celui-là à une cruche ou une assiette de terre.
Le magasin pittoresque, 1865.
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