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vendredi 24 octobre 2014

Le château de Montargis.

Le château de Montargis.


La hauteur autour de laquelle la petite ville de Montargis s'est agglomérée peu à peu, avait dû,  dès les premiers âges, se hérisser de tours fortifiées et de travaux de défense. C'était de beaucoup la position la plus élevée du pays: les chercheurs d'origines disaient qu'on l'appelait Mont-Argus, parce que nul point d'un vaste horizon n'échappait à l’œil du spectateur placé au sommet; et, lors d'une entrée de Louis XIII à Montargis, la porte du château fut ornée, entre autres décorations, d'un grand tableau où était figuré le berger Argus, à genoux sur la crête de la montagne, étendant les mains vers le monarque, comme pour lui présenter les voeux et les hommages de ses habitants.
Montargis était d'ailleurs une place importante, une clef du pays. Les chroniqueurs parlent d'un certain roi nommé Moritas qui aurait fait bâtir ce château pour résister à Jules César. Don Morin, moine érudit de l'abbaye de Ferrières, en attribue, sur la foi d'un manuscrit fort ancien, la fondation à Clovis, qui éleva  en cet endroit une haute tour, dans le but d'opposer une barrière aux Huns, aux Visigoths et aux Ostrogoths, sous les ordres d'Alaric.
Nos rois tinrent souvent leur cour au château de Montargis. Charles V y fit placer la seconde horloge qui ait existé en France. La première avait été construite pour le palais de Paris, en 1370, par les soins de HenriVie, qu'on avait fait venir exprès d'Allemagne. Jean Jouvence fit celle de Montargis en 1380. Elle orna la plus haute tour du principal corps de bâtiment, et cette tour fut dès lors appelée Tour de l'Horloge.
Sur la cloche on lisait cette inscription:

Charles le quinet, roi de France,
Pour Montargis,
Aux heures pour remembrance
Et pour advis,
Faire me fit par Jean Jouvence, 
L'an  mil trois cent cinquante et trente.

Elle ne quitta la place où l'avaient mise les ouvriers de Jean Jouvence, que le 20 mars 1810, lorsqu'on s'occupa de démolir ce qui restait du château.
Montargis devint l'apanage de la maison d'Orléans; mais le duc d'Orléans ayant été assassiné à Paris, le 24 novembre 1419, il fut de nouveau réunit à la couronne.
En 1427, Montargis eut à soutenir contre les Anglais un siège long et désastreux, qui se termina à la gloire de la ville. Les bourgeois, manants et habitants, comme disent les vieilles chartes, se conduisirent bravement à ce qu'il paraît; car le roi Charles VII leur accorda des franchises et des privilèges extraordinaires; les exempta de tout impôt, sauf de la gabelle; leur octroya des foires; leur permit de prendre du bois de chauffage et de construction dans sa forêt de Paucourt; donna à la ville des armoiries et l'autorisation d'ajouter à son nom celui de Franc; enfin, permit à tous ceux qui l'habitaient de porter sur leurs habits un M brodé d'or, et de saisir-arrêter les effets de leurs débiteurs fonciers, jusqu'à ce qu'ils eussent obtenu paiement de leurs créances.
Les cinq chartes de Charles VII ne furent pas le seul monument que les habitants de Montargis purent garder de leur victoire. Le guidon de Warwick était resté entre leurs mains. On le promenait tous les ans, le 5 septembre à la procession qui avait lieu en mémoire de la levée du siège, et les femmes elles-même le saluaient par des arquebusades. On avait aussi élevé sur le champ de bataille une croix qui s'appela long-temps la Croix aux Anglais. Cet étendard et cette croix furent conservés avec un soin spécial jusqu'à l'époque de la révolution. Mais au mois de mars 1792, sur la proposition de la garde nationale, il fut décidé que ces reliques insultaient la nation anglaise, qui avait montré la première le chemin de l'affranchissement et de la liberté: en conséquence, le drapeau de Warwick fut brûlé dans le champ de la confédération; la Croix aux Anglais fut abattue; ses débris servirent à la construction d'un autel de la Patrie, et un procès-verbal de cette double opération fut adressé à la chambre des communes d'Angleterre.
Le château de Montargis pouvait contenir une garnison de six mille hommes. Il était bâti sur un roc, à l'ouest de la ville; son architecture était variée de différents styles, en raison des constructions successives qui l'avaient sans cesse agrandi; mais le style improprement appelé gothique dominait. Les murailles étaient crénelées, flanquées de fortes tours, et garantie par des fossés profonds.
Quatre tours en défendaient la porte. L'église du château, bâtie au douzième siècle, servait d'église paroissiale avant que la ville basse eût la sienne. On voyait dans cette église "la forme et représentation du Saint-Sépulchre faite en plâtre, avec les mêmes proportions que celui de Jérusalem." Le pèlerin auquel on devait cette copie était enterré à ses pieds.
La plus haute construction du château était le donjon, de forme ronde, qui fut démoli sous Louis XIV; il contenait un four, une citerne et un moulin. Sous le sol on avait creusé des souterrains immenses, dans lequel toute la ville pouvait se réfugier en cas de siège.
La grande salle du château était flanquée de six tours, dont la plus remarquable était la Tour de l'Horloge. Deux escaliers conduisaient à cette salle, placée au-dessus de la salle des gardes. Le plus grand avait trois faces et trois rangs de degrés; il était en bois revêtu de plomb, et Charles VIII y avait fait peindre ses armes. C'était sur son perron que le grand-prévôt de l'hôtel venait rendre la justice. Au-dessus de la porte du petit escalier, on avait sculpté un cheval appartenant à M. le duc de Nevers, en mémoire de ce que ce cheval avait monté cet escalier.
La grande salle du château était la plus spacieuse et la plus magnifique qu'on ait jamais vue. Sa longueur dépassait vingt-huit toises. Elle était voûtée, pavée de mosaïque, et entièrement peinte de devises et d'armoiries. Ses dix-sept fenêtres, en ogives, enrichies de triple armures et vitraux coloriés, avaient dix-sept pieds de haut. Six cheminées, de douze pieds de largeurs, échauffaient cette salle immense. Au-dessus de celle du midi, Charles VIII avait fait placer un tableau représentant l'histoire du chien d'Aubry de Mondidier, admis au duel judiciaire avec un archer de la garde du prince. Ce tableau a depuis long-temps disparu.
Sur la droite était un corps de bâtiments considérable où résidait le gouverneur; puis, à l'entour, des jardins et un parc, auxquels on arrivait par plusieurs pont-levis.
Le parlement qui devait juger le duc d'Alençon, accusé de favoriser la rébellion du dauphin (depuis Louis XI), siégea dans la grande salle du château de Montargis en 1439; mais la peste l'en chassa au bout de trois mois, et le roi fut obligé de le transférer à Vendôme. Ce fut aussi dans cette salle qu'en 1531 les coutumes de Montargis furent rédigées en présence des trois états assemblés.
Dès 1528, François 1er avait donné la ville, le château et la forêt de Montargis à Renée de France, fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne. Cette femme, digne d'attention, qui eût pu devenir l'épouse de Charles-Quint et de Henri VIII, se maria à Hercule d'Este, duc de Ferrare. Elle était savante et spirituelle. Elle avait fait une longue étude des langues, de l'histoire, des mathématiques, de la théologie et même de l'astrologie. Calvin et Marot la convertirent aux idées de la réforme, et lorsqu'elle se retira à Montargis, après la mort d'Hercule d'Este, elle y prit les protestants sous sa sauve-garde. Six cents hérétiques trouvaient chez elle asile et secours.
Le 26 janvier 1562, Jean de Sourche de Malicorne, envoyé par le duc de Guise, vint à la tête de quatre compagnies de cavaliers, sommer la duchesse de lui remettre les principaux factieux réfugiés dans le château, avec menace d'y faire mener du canon. 
"Avisez bien ce que vous ferez, lui répondit Renée de Ferrare; sachez que personne n'a le droit de commander ici, que le roi même; que si vous en venez là, je me mettrai la première à la brèche, où j'essaierai si vous avez l'audace de tuer la fille d'un roi, dont le ciel et la terre seraient obligés de venger la mort sur vous et sur toute votre lignée jusqu'aux enfants au berceau."
Le sire de Malicorne hésita; Guise mourut et les proscrits respirèrent; mais plus tard il fallut céder à une sommation nouvelle: près de cinq cents religionnaires quittèrent le château, à l'aide de charrettes, coches, charriots que leur fournit leur bienfaitrice. En les voyant partir, la duchesse fondit en larmes: " Si je n'étais femme, disait-elle à Malicorne, je vous ferais mourir de ma main comme un messager de mort." Il y avait dans ces larmes et dans ces paroles un sombre pressentiment de la Saint-Barthélemy.
Renée de Ferrare mourut le 12 juin 1575, et fut enterrée au château.
Dix ans après, le duc de Bourbon s'en empara par surprise, et y établit le quartier-général de la révolte. Mais le roi y envoya quelques régiments, et les gens du duc furent obligés de se rendre à composition.
Henri IV et Marie de Médicis vinrent en 1608 passer trois semaines à Montargis, et présider aux travaux du canal de Briare, qui se faisait alors. Plus de douze mille ouvriers y furent employés.
Le 28 mars 1608, pendant le séjour du roi, le prieur et curé de Montargis trouva sur le maître-autel une lettre sans signature par lequel on le conjurait d'avertir Henri IV qu'un homme, dont on donnait le signalement précis, lui plongerait un couteau dans le cœur. Cet avis trouva Henri IV impassible, et il continua à jouer nonchalamment à la paume dans la grande salle du château.
Le 30 mars 1652, le prince de Condé tenta un coup de main sur Montargis: on parlementa; la ville céda le château; le château refusa de se rendre. Trois sommations furent faites, la première par M. de Nemours, la seconde par M. de Beaufort, la troisième par M. le Prince. Les assiégés faisaient bonne contenance. Tout-à-coup une des tours du château vint à se fendre en deux, et une moitié tomba sur la ville: le château se rendit.
A mesure que les vieilles haines et les vieilles idées s'effacent, l'histoire des châteaux devient plus terne et plus uniforme. Le château de Montargis avait fêté trop d'avènements et de royales naissances. Ce fut dans la grande salle que s'organisa, le 26 juillet 1789, la garde civique de Montargis. Après cette date toute l'action et tout l'intérêt descendirent sur la place publique. Une ville qui avait accueilli avec enthousiasme l'ère révolutionnaire, et dont les magistrats prirent le deuil pendant huit jours à l'occasion de la mort de Mirabeau, ne pouvait voir sans ombrages les masses féodales qui la dominaient; on rasa les tours jusqu'au niveau de l'esplanade; on établit une filature dans une de ses dépendances, et le mont mythologique prit le nom vulgaire de mont Cotonnier.
Toutefois, la démolition marcha lentement; les Cosaques et les hussards russes qui campèrent en 1814 autour du mont, virent les murs de la grande salle encore debout; et le vieux canon de fer qui, le 20 prairial an II, avait annoncé la fête de l'être suprême, salua, le 22 décembre 1822 l'arrivée de la duchesse de Berry qui venait visiter le château.
Et puis, la grande salle et cinq de ses tours tombèrent sous le marteau de la bande noire. La tour de l'Horloge demeura seule, survivant à la destruction générale. 



On la découvrait de loin, flanquée d'un reste d'ogive, et dominant ces grandes plaines sans collines et cette petite ville sans clocher et sans monuments. De nombreux oiseaux de nuit sifflaient et battaient des ailes chaque soir dans l'embrasure de ses meurtrières, et tant de générations l'avaient vues debout, qu'on la considérait parmi le peuple comme quelque chose d'inattaquable et d'éternel. Mais la pioche des maçons qui avait commencé par lui ôter son couronnement de pierre, l'avaient ensuite minée à sa base, et elle a succombé le 24 octobre 1837, couvrant de ses débris un terrain d'une étendue considérable.

Magasin pittoresque, mars 1838.

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